10 décembre 2° dimanche de l’Avent, année B

Par Père Roger Hébert

 

Dimanche dernier, nous avions entendu le cri lancé par le peuple des hébreux, un cri qui exprimait un immense désir : « Ah, Seigneur, si tu déchirais les cieux et si tu descendais parmi nous ! » Et nous avions compris que Dieu avait entendu ce cri et qu’il se préparait à répondre de manière toute particulière en se faisant l’Emmanuel, Dieu-avec-nous. La 1° lecture de ce dimanche nous dit tout à la fois ce que l’Emmanuel apportera et comment nous pouvons nous préparer à l’accueillir.

Regardons d’abord ce qu’il apportera et c’était magnifiquement exprimé dès le 1° mot de la lecture : il apportera la consolation. Pour bien comprendre de quoi il s’agit, il faut remettre le texte dans son contexte. Nous sommes au moment de l’Exil, cette période terrible où la puissance Babylonienne avait déporté une bonne partie du peuple. Pour comprendre ce que pouvaient vivre les déportés et leurs familles restées au pays, on peut essayer de se rappeler ce qu’ont vécu les personnes déportées pendant la dernière guerre et l’angoisse de leurs familles, mais on peut aussi imaginer ce que vivent les otages à Gaza et leurs familles, sachant que la même angoisse est vécue par les Palestiniens captifs en Israël, angoisse partagée par leurs familles. Se retrouver loin de chez soi, entre des mains hostiles, c’est forcément une très grande épreuve qui fait verser beaucoup de larmes à ceux qui sont déportés et à leurs familles à qui ils manquent et qui les attendent angoissées.

Eh bien, nous dit Isaïe, l’Emmanuel, Dieu-avec-nous, quand il viendra, il apportera la consolation. Or c’est intéressant de se demander comment, habituellement, on communique la consolation ? C’est par un geste spontané, en serrant celui qui pleure dans nos bras. L’annonce d’Isaïe laisse donc entrevoir que le peuple dans son entier et chaque personne de ce peuple va vivre avec le Seigneur une proximité étonnante. Nous le savons, les juifs avaient une telle conception de la grandeur de Dieu que personne n’aurait osé imaginer pouvoir être, un jour, serré dans les bras de Dieu. Et pour que ce soir bien clair, Isaïe va encore donner une autre image : Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur. Quel bon berger, ce berger ! Il n’utilise pas un chien pour rassembler son troupeau, il va mouiller la chemise, c’est lui, c’est son bras qui le rassemblera car il sait que son troupeau est fait de petits, faibles et fragiles comme des agneaux qui ont besoin de ce contact personnel avec le berger. En plus, dans ce troupeau, le berger sait qu’il y a aussi des brebis qui allaitent, c’est-à-dire qu’il y en a qui se donnent totalement au service des autres, des plus petits, alors, pour eux, pour elles, il aura une attention particulière.

Dans son ministère, parce qu’il est l’Emmanuel, Jésus ne fera rien d’autre que mettre en application ces paroles du prophète Isaïe. Nous le verrons prendre dans ses bras, imposer les mains, bref aller au contact de tous ceux qui ont besoin de consolation, de tous les petits. Nous le verrons aussi prendre soin de tous ceux qui veulent se mettre au service des autres, c’est pour cela qu’il passera tant de temps avec ses apôtres pour les former à se donner toujours plus et toujours mieux.

La consolation, c’est donc ce que doit apporter l’Emmanuel. J’aurais pu aussi parler de la libération, mais il me faut avancer ! Venons-en maintenant à ce que nous dit Isaïe sur la manière dont nous devons nous préparer à accueillir l’Emmanuel. Vous l’avez entendu, Isaïe parle de cette préparation comme la mise en route d’un énorme chantier : Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute collines abaissées ! Que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée ! Comme les jeunes le disent aujourd’hui : il va y avoir du taf ! Pour ceux qui ne parlent pas comme les jeunes, ça veut dire qu’il va y avoir du travail ! Il faut préparer, tracer, combler, abaisser, changer. Avec un tel programme, on pourrait se décourager avant même d’avoir commencé ! Aurai-je le courage d’entreprendre un tel chantier dans mon cœur ?

En plus, avec cette énumération, on voit que ça ne va pas être simple puisqu’Isaïe indique que ce travail sera à réaliser dans des zones compliquées, vous l’avez entendu, il était question de désert, de terres arides, de ravin ou de précipice, d’escarpements. On en finirait presque par se demander si le Seigneur ne cherche pas à nous décourager en nous disant qu’il y aura beaucoup, beaucoup de travail et que ce travail sera très pénible en raison des zones dans lesquelles il faudra l’effectuer.

Évidemment, non, le Seigneur ne cherche pas à nous décourager, au contraire ! Moi, ce que j’entends dans ces paroles, c’est une double bonne nouvelle :

  • D’abord, ça signifie que l’Emmanuel, ce sont toutes ces zones compliquées de nos vies qu’il veut visiter. Le Seigneur n’attend pas de nous que nous lui ouvrions la partie la plus belle, la plus présentable de notre cœur. Si nous voulons vraiment l’accueillir, c’est là où rien n’est simple dans nos vies qu’il faudra l’accueillir car c’est là qu’il veut venir en priorité.
  • L’autre bonne nouvelle, c’est qu’il va nous aider dans ce travail si colossal qu’il dépasse nos pauvres forces. Il va mettre sa puissance à notre service, c’est ainsi que je comprends ces paroles de la lecture : Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. De fait, j’espère que nous avons déjà fait l’expérience que c’est en accueillant Jésus, l’Emmanuel, dans nos cœurs, que les plus grandes transformations s’opèrent dans nos vies.

A ceux qui ne voulaient pas venir communier parce qu’ils ne s’en sentaient pas dignes, le curé d’Ars, mon compatriote disait : c’est vrai, vous n’en êtes pas dignes, mais vous en avez besoin ! Ou encore à ceux qui lui disaient qu’ils ne venaient pas communier parce qu’ils se sentaient trop pécheurs, il répondait : c’est comme si vous me disiez que vous n’allez pas voir le médecin parce que vous êtes trop malades !

Oui, il y a beaucoup de taf pour accueillir Jésus en vérité, mais la bonne nouvelle c’est que le Seigneur ne nous dit pas : accomplissez le travail et quand tout sera parfait, je viendrai ! Non, il se propose de venir pour nous aider à faire le travail. La preuve que ce que je dis est vrai, c’est que Dieu n’a pas attendu que la situation du monde soit parfaite pour envoyer son Fils. Jésus est venu à un moment très troublé de l’histoire de son peuple : occupation du pays par les romains, dévoiement des responsables religieux. Ce n’était pas brillant, mais l’Emmanuel est venu quand même pour accomplir ce travail d’assainissement avec tous les hommes de bonne volonté.

Est-ce à dire que nous n’aurons rien à faire et que nous pouvons nous reposer tranquillement en attendant que le Seigneur ait tout bien fait le travail à notre place ? Évidemment non ! Le Seigneur ne fera jamais rien sans nous, mais nous, c’est clair, nous ne réussirons jamais rien sans lui ! D’abord le Seigneur ne pourra jamais rien faire si nous n’acceptons pas de lui ouvrir la porte de notre cœur. Pour qu’il entre, il faudra qu’il ait compris qu’il est le bienvenu, que tout lui est ouvert en nous, que nous acceptons qu’il visite tout, qu’il restaure tout. Tant que nous garderons une pièce secrète dans laquelle nous ne voulons pas qu’il entre parce que là, nous voulons continuer à faire ce que nous voulons, il n’entreprendra rien de vraiment sérieux en nous, nous ne verrons aucune transformation significative dans nos vies. Tant que nous ne lui ouvrirons pas en grand tout notre cœur, tant que nous ne le laisserons pas visiter nos plus grandes misères, nos zones d’égoïsme et de repli sur nous, nous garderons au cœur une certaine tristesse parce que nous ne le laissons pas nous apporter sa consolation jusque dans les profondeurs de notre être.

Nous l’avons entendu dans la 2° lecture, le Seigneur est patient, il nous laissera le temps dont nous avons besoin pour nous décider à le laisser nous visiter, mais tout le temps qui passe est du temps perdu, perdu pour nous, précisément parce que nous restons dans la tristesse, parce qu’avec un cœur tordu il est tellement difficile d’aimer et de se laisser aimer.

Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons la grâce de nous décider à ouvrir pour de bon nos cœurs à son action consolatrice. Demandons-lui aussi la grâce de devenir pour les autres des Jean-Baptiste, c’est-à-dire des frères, des sœurs capables de préparer la venue du Seigneur jusque dans les cœurs es plus fermés comme nous l’indiquait l’Évangile.