5 novembre : 31° dimanche ordinaire

Par Père Roger Hébert

 

Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement : Si vous n’écoutez pas, si vous ne prenez pas à cœur de glorifier mon nom – dit le Seigneur de l’univers –, j’enverrai sur vous la malédiction, je maudirai les bénédictions que vous prononcerez. Vous vous êtes écartés de la route… Ce sont ces paroles très dures, que Dieu prononce à l’égard des prêtres, que nous avons entendues dans la 1° lecture du livre de Malachie. Les prêtres, sans doute pas tous les prêtres, mais beaucoup de prêtres quand même, avaient fini par s’installer dans la situation assez confortable que le statut de prêtre leur offrait. Ils profitaient de tous les avantages qu’ils pouvaient avoir comme prêtres sans mener une vie en cohérence avec ce qu’ils célébraient.

Par contre, au peuple, ces mêmes prêtres transmettaient très bien toutes les exigences de la loi sans oublier aucun détail. C’est ce qu’il faut comprendre derrière cette parole : vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude, Ils mettaient la barre tellement haute pour les autres qu’elle devenait inatteignable, du coup, les croyants du bon peuple, quand ils écoutaient les prêtres, ne pouvaient que désespérer en découvrant qu’ils étaient si loin de vivre ce que la Loi exigeait. Tout cela met Dieu dans une colère noire et on l’a bien entendu dans cette terrible parole qu’il prononce : À mon tour je vous ai méprisés, abaissés devant tout le peuple.

Ces critiques, formulées au 5° siècle avant Jésus-Christ, elles résonnent avec une étonnante actualité. Dans le scandale des abus commis par des prêtres, on a découvert que, souvent, les plus rigides, les plus exigeants, étaient capables des pires turpitudes. Merci au pape Benoit XVI qui courageusement a décidé de commencer une grande opération vérité qu’il a confiée ensuite à son successeur, lui-même ne se sentant plus la force de mener à bien cette mission. Merci au Pape François pour ses interventions et ses décisions qui invitent à aller jusqu’au bout de la démarche, merci à toutes les victimes qui ont osé parler et remuer ce passé si douloureux.

Si je reviens à la lecture de Malachie, c’est cette situation scandaleuse qui va donner naissance, plus tard, à l’émergence du courant des pharisiens. Les pharisiens, ce sont des laïcs qui se sont organisés pour dire : puisqu’on ne peut plus compter sur les prêtres dont l’exemple de vie est désastreux, alors nous allons nous accrocher à la Parole de Dieu et la prendre dans sa radicalité. La naissance de ce mouvement a été une bénédiction pour le judaïsme qui, grâce à ces laïcs, a retrouvé une très belle ferveur. Hélas, comme souvent, il va y avoir, peu à peu, un relâchement des chefs de ce courant. Les pharisiens de base restaient dans ce désir de se rapprocher de Dieu en vivant la Loi dans une fidélité, la plus grande possible, mais les chefs ont commencé à être, comme les prêtres, de moins en moins exemplaires, poussant dans le même temps les préceptes de la Loi à des exigences frisant le ridicule.

C’est à ces pharisiens-là que Jésus va être si souvent confronté, et c’est bien à eux qu’il s’adresse tout particulièrement dans l’Evangile d’aujourd’hui. Et c’est ainsi que Jésus va formuler à leur intention les mêmes reproches que Dieu adressait naguère, par Malachie, aux prêtres : tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. Il me semble que la leçon est claire : si on perd l’attachement vital au Seigneur, si on se contente de vivre la foi comme un ensemble de pratiques religieuses et morales à respecter, très vite, on va déraper. Et, pour ceux qui sont responsables, le dérapage deviendra de plus en plus incontrôlable, parce que, étant en vue, ils pourront chercher justement à en mettre plein la vue en ne se souciant que de l’apparence et en espérant qu’elle cachera tout ce qui est si lamentable en eux. C’est bien ce que Jésus dénonçait : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques.

Comme le dit une exégète, Jésus met en lumière 4 pièges qui menacent tous ceux qui sont en vue : 1° piège : le contre-témoignage ; 2° piège : pratiquer l’autorité comme une domination et non comme un service ; 3° piège : vouloir paraître ; 4° piège : se croire important, avoir le goût des honneurs et les rechercher.

Alors Jésus va proposer un traitement radical pour ceux qui ne veulent pas tomber dans ces pièges ou qui, s’ils y sont tombés, veulent en sortir : Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi,

car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.

De toutes ces consignes, nous retenons souvent la parole concernant l’attribution du titre de Père à un homme. Et, à partir de là, on se demande s’il reste pertinent d’appeler les prêtres, Père. On peut toujours en discuter et remplacer ce titre de Père par celui de frère, pour moi, ça ne fait pas de problème ! Mais les paroles de Jésus doivent aussi interroger les pères de famille qui se font appeler père, papa ! Elles doivent aussi interroger ceux qui appellent leur médecin docteur et les médecins qui acceptent ce titre ou encore les avocats qui acceptent le titre de maître. Alors faut-il changer tous ces titres ? Il n’est pas sûr que ça règle tous les problèmes !

Je vous invite à être attentifs au fait qu’au milieu de toutes ces recommandations, il y a cette affirmation si forte de Jésus : vous êtes tous frères ! Il faut vraiment l’entendre comme une injonction de Jésus. Une injonction qui a la même force que celle qu’il prononcera lors de l’onction à Béthanie quand il dira : les pauvres, vous les aurez toujours avec vous ! Mc 14,7 Je crois que ce sont les deux injonctions les plus fortes de l’Evangile, celles que Jésus a voulu prononcer avec toute son autorité : les pauvres, vous les aurez toujours avec vous ! Et : vous êtes tous frères ! C’est pas matière à option, ceux qui veulent vivre en chrétiens, ces deux injonctions s’imposent à eux.

Donc, dans toutes les recommandations que fait Jésus à propos des titres donnés aux hommes, c’est cela qu’il faut honorer, c’est l’exigence de fraternité que Jésus met en premier. Vous comprenez donc que ce ne sont pas forcément les titres qui empêcheront de l’honorer, même si parfois, ils peuvent y contribuer, c’est d’abord tous les comportements qui tuent fraternité qu’il faut débusquer, dénoncer, c’est le surplomb qui la rendra impossible qu’il faut éradiquer. Un grand ponte de la médecine, à l’hôpital, peut continuer à se faire appeler docteur ou professeur s’il sait, quand il le faut, s’assoir auprès de son patient, et prendre le temps d’expliquer à son patient sa maladie et les traitements qu’il met en route. Un avocat peut continuer à se faire appeler maître s’il sait écouter celui qui a recours à ses services et lui parler en termes non-techniques. Un prêtre peut encore être appelé père s’il sait clairement se situer comme frère au service de ses frères, s’il a conscience de ses pauvretés. Bref, le changement de titres pourrait être intellectuellement satisfaisant mais sans mettre en œuvre ce que Jésus demande à savoir que nous nous comportions tous comme des frères. D’autant plus que cette querelle sur les titres pourrait laisser entendre qu’il n’y a que ceux qui ont des titres qui ne jouent pas la partition de la fraternité alors que c’est loin d’être le cas, on peut n’avoir aucun titre et ne pas être champion de la fraternité en jugeant, en excluant, en dominant.

Enfin Jésus conclut cette série de recommandations par ces paroles si fortes qui sont comme le résumé de toute sa vie : Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. Serions-nous plus importants que le Fils de Dieu , lui-même, pour penser que ces paroles ne sont pas pour nous ?

Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons cette grâce de la fraternité. Qu’elle nous obtienne de pouvoir vivre en frères sans que quiconque ne se sente supérieur aux autres et vive dans une situation de surplomb. Qu’elle obtienne à tous ceux qui ont reçu mission d’exercer une autorité de pouvoir la vivre comme un service d’amour et jamais comme une domination, demandons cette grâce pour tous ceux qui exercent l’autorité dans l’Eglise ou dans la société, mais aussi pour les parents dans les familles et dans tous les autres lieux. Notre Dame de Laghet gardez-nous dans l’humilité pour que tout ce que nous disons, tout ce que nous faisons puisse porter de beaux fruits.