« L’EX-VOTO DES PÉNITENTS BLANCS : QUE LA CHARITÉ NOUS PRESSE ! »
par Patrizia Colletta, « Médiation, Art & Foi »

L’ex-voto de ce mois pourrait se présenter comme un écho à « Dilexi te » le premier texte magistériel donné par le pape Léon XIV (1). Une Exhortation apostolique dont le thème est l’amour envers les pauvres, l’attention aux plus petits qui n’ont ni importance, ni puissance dans l’ordre matériel du monde. Initié par le pape François, ce document déroule ses 121 paragraphes à la manière d’une longue fresque historique sur le souci de l’Eglise pour les pauvres depuis ses origines à Jérusalem, au fil des siècles, le pape Léon XIII initiateur de la Doctrine sociale de l’Eglise (2), les papes des XX et XXIè siècles. « Aucun geste d’affection, même le plus petit, ne sera oublié, surtout s’il est adressé à ceux qui sont dans la souffrance », écrit le pape Léon XIV.
Quelle plus belle réponse à cet appel que de présenter un malade, un blessé de la vie, une personne souffrante devant l’autel du Seigneur, en implorant la Vierge Marie, Mère des Hommes. Dilexi te : « Je t’ai aimé » (Ap. 3,9), cette Parole de consolation de Jésus s’adresse au pauvre, donc à nous tous et à chacun ! Elle s’exprime depuis des siècles à Laghet à travers les tableaux votifs, qui disent la prière de demande ou d’intercession. Une manière d’unir la liturgie et l’action à travers l’accueil, l’écoute et la prière auprès de la Vierge Marie, chaque jour de l’année… (3).

Cette huile sur toile, ex-voto emblématique de Laghet, montre une scène qui se déroule devant le maître-autel d’une église. La composition de type pyramidal se divise en deux parties verticales. Un registre céleste qui occupe la moitié supérieure du tableau avec la Vierge de Laghet et l’Enfant Jésus nimbés de lumière. Au registre inférieur, dans la pénombre, cinq Pénitents blancs revêtus de la capa, le sacq ceint par une cordelette, portent à bout de bras un adolescent blessé à la cuisse enveloppée d’un linge.

A-t-il fait une mauvaise chute, est-il tombé d’un arbre, sous les roues d’une voiture à cheval comme c’était fréquent à l’époque ?
Nous ne savons rien sur les détails du drame mais un jeu de regards anime la scène d’une manière éloquente.

Le porteur de droite scrute le visage de l’enfant, celui de gauche regarde la mère tout à gauche de l’image ; à l’arrière deux pénitents, le premier pose un regard attendri sur le jeune blessé, l’autre prie les yeux rivés au ciel. Tout à droite le cinquième pénitent semble arrivé depuis peu auprès de ses confrères, son pied gauche vient juste de toucher la marche d’autel… Le peintre a choisi une disposition en S très maniériste pour montrer l’angoisse de la mère à gauche de la toile et le jeune blessé, comme évanoui, avec sa tête arrondie aux jolies boucles brunes, des lèvres entrouvertes s’exhale un soupir… Dans une gloire dorée éclatante de lumière se tient en apesanteur la Vierge à l’Enfant de Laghet. L’iconographie « triangulaire » est fréquente en ce début de XIXè : robe pourpre brodée de fils d’or, ample manteau bleu nuit, et l’expression si douce de la Madone qui semble venir épouser les tourments de cette mère agenouillée. La présence de l’ex-voto de remerciement déposé au sanctuaire nous rassure, il signe la confiance et l’exaucement de la prière. Il n’est pas impossible que ce soient les soci, les Pénitents blancs qui aient commandité le tableau, étant sous l’invocation du Saint Esprit ou de la Vierge de Miséricorde, et en raison de la qualité de la peinture. Le cartouche en latin en bas à droite, estompé par le temps : « V.F.G.A. 1823 » (Votum Fecit Gratiam Accepit) rappelle le vœu, la grâce accordée et la gratitude. Ce tableau représente une page de l’histoire des œuvres de Miséricorde effectuées par les Pénitents blancs, la plus ancienne confrérie du Comté de Nice.

Cette Confraternita est née en Italie au XIIIè siècle à l’inspiration de Saint Bonaventure alors général des Franciscains. Il aurait eu une vision de la Vierge Marie qui lui aurait dicté une « Règle de l’Amour du Christ », les statuts de la Confrérie. Traversant les Alpes, au XIVè, la Société du Gonfalon de Nice, dite Archiconfrérie de la Sainte-Croix (Pénitents blancs), perdurera jusqu’à nos jours à Nice, dans les villes du département et à Monaco à partir de 1640.  Il est bon de rappeler que les confréries de pénitents sont nées au Moyen-Age, au décours des graves épidémies, de peste et de choléra qui décimèrent l’Europe. Elles demeurent les plus anciennes associations de laïcs au sein de l’Eglise. Dotées de statuts, ces confréries bénéficient d’une existence visible au coeur de la cité et souvent reconnues « D’utilité publique ». Leurs membres sont agrégés après un noviciat d’une année sous la conduite d’un Prieur.
(Ci-dessus: Défilé des Pénitents de Nice sur la Promenade des Anglais.)

A Nice, sont présents les Pénitents Noirs, Blancs, Rouges et Bleus, chaque confrérie ayant son charisme propre. La vocation des Pénitents blancs, dite Société du Gonfalon (4), a pour vocation caritative « l’assistance aux malades et aux déshérités ». A ce titre ils ont géré durant des décennies l’hôpital Sainte Croix de Nice ainsi que l’aide aux plus démunis. Les lecteurs intéressés pourront voir en note deux ouvrages de référence (5) dont le second sur la Confrérie des Pénitents Blancs préfacé par le regretté Mgr Bernard Barsi, ancien Archevêque de Monaco, qui fut Aumônier général de la Maintenance des Confréries de Pénitents de France et de Monaco et célébra si souvent la sainte messe à Laghet. Dans sa préface, Mgr Barsi évoque : la « théologie du laïcat », vécue en Eglise à travers les Confréries de Pénitents, l’urgence de la mission d’évangélisation portés par l’amour du Christ qui nous presse et l’immense champ d’action apostolique qu’offre aujourd’hui l’état du monde.
(Ci-contre: Monseigneur Bernard Barsi bénissant une cloche chez les Pénitents bleus de Nice en Juin 2022)

Dans son Exhortation apostolique le pape Léon XIV cite une nuée de saints à la charité exemplaire : Saint François d’Assise (6), Sainte Claire, Saint Dominique, Mère Teresa… soeur Emmanuelle, tant d’autres et parmi eux Saint Benoit dont la Règle demeure aujourd’hui aussi inspirante pour la vie monastique que pour les laïcs dans le monde. L’accueil des pauvres et des pèlerins y occupe une place prépondérante. En voici un extrait:
« On prendra soin des malades avant tout et par-dessus tout. On les servira comme s’ils étaient le Christ en personne, puisqu’il a dit : « J’ai été malade et vous m’avez visité » (Mat. 25, 36). De leur côté les malades considèreront que c’est un honneur de Dieu qu’on les sert. Aussi ils ne mécontenteront pas par des exigences superflues les frères qui les servent. Eventuellement, il faudrait cependant les supporter avec patience, parce qu’il en revient plus de mérite… » (7).
A l’issue de la lecture on perçoit que, pour le pape Léon XIV, la « pauvreté » doit s’entendre au sens large, non seulement matérielle mais de souffrance morale, de solitude, d’isolement social qui marquent certaines existences de façon dérangeante parfois. Ici, précisément, se révèle pour le chrétien la nature profonde de sa relation à Dieu, et le « visage du Christ » : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).
(Ci-contre: Enluminure de Saint Benoit donne sa Règle à Saint Maur.) 

La Vierge Marie, par son oui éternel, donné corps et âme à la volonté divine, ne nous précède-t-elle pas sur cette voie, elle qui est l’archétype de l’Eglise ?
Alors, en ce temps béni de l’Avent qui approche, demandons à Notre-Dame de Laghet de nous montrer le pauvre qui git près de nous dans le dénuement ou plus souvent, dans le confort matériel et une immense pauvreté des choses d’en haut, dans un monde où règne violence, orgueil, division, prédation, manque de paix, guerre… Méditons les paroles d’Espérance du pape Léon XIV : « l’Evangile féconde chaque moment de l’Histoire ». Durant ce temps de préparation à la Nativité, essayons de voir dans la confession, la méditation d’une Parole, de ce premier texte du Saint Père, le pauvre qui git en nous, notre misère, celle que nous ne voudrions pas montrer, « cette écharde dans le corps » comme le dit Saint Paul, cette douleur que seul le Christ pourra combler. Pauvre parmi les pauvres, tels les anawim (8) qui attendaient le Messie d’Israël depuis la Révélation à Moïse dans le Buisson ardent… A l’approche de Noël, faisons mémoire de la grâce de notre baptême, aspirons avant toute chose à accepter de nous revêtir de « la force d’en haut » qui est Amour (Col. 3). Nous appuyant sur la fidélité du Christ, quelque chose pourrait changer en nous et autour de nous. Alors nous pourrions recevoir la grâce d’aimer en vérité, le Seigneur notre Dieu et notre prochain, comme nous-même.
(Ci-dessus: le Gonfalon des Pénitents blancs)

« Et moi, Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde »

Mathieu 28,20

Commentaire : Patrizia COLLETTA, « Médiation, Art & Foi ».

Notes : (1) « Dilexi te », mots tirés de Apocalypse 3,9, veulent dire « Je t’ai aimé », Exhortation apostolique à lire sur vatican.va . Les 121 paragraphes en partie initiés par le pape François, constituent un récapitulatif historique et un voeu pour demain, ont pour thème la dilection de Dieu pour les pauvres ; (2) Rerum Novarum, 1891, de Léon XIII, pape de la « modernité » et de l’avènement de l’ère industrielle ; (3) Prière de guérison 1 fois par mois, déposer une intention de prière, cf. sanctuaire-laghet.fr ; (4) Le gonfalon : bannière de procession aux insignes du charisme du groupe, cf. pénitentsblancs.fr ; (5) Luc Thévenon, « Ex-Voto de pénitents. Provence-Comté de Nice-Italie », Nice, 2015 et « Societas Gonfalonis, Archiconfrérie de la Sainte-Croix Pénitents blancs de Nice », paru en mars 2025. A noter la préface de feu Mgr Bernard Barsi, décédé fin décembre 2022, Archevêque de Monaco émérite ; (6)  Le pape a choisi de signer sa première exhortation apostolique précisément le jour de la St François d’Assise ce 4 octobre 2025 ; (7) Règle de Saint Benoit, § 36, « colonne vertébrale de la vie monastique européenne », Saint Benoit (480-547) est vénéré dans l’Eglise orthodoxe et l’Eglise Latine ;  (8) Les « anawim » : les pauvres de Yahvé dans l’Ancien Testament, cf. Exode 3,7 – 8,10.