« Mon enfant pourquoi nous as-tu fait cela ? ».
« Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » (Luc 2, 48-49).

La rentrée 2023 à Laghet sera marquée par des changements importants pour le sanctuaire. Nous tenons tout d’abord à remercier pour leur présence les pères Missionnaires de la Salette qui nous ont accueillis et qui ont célébré l’eucharistie durant 5 ans dans un temps difficile (1). Nous réitérons nos voeux de bonne continuation dans le service du Seigneur.

Du mouvement également avec le départ et l’arrivée de soeurs Bénédictines du Sacré-Coeur de Montmartre fidèles animatrices des lieux. Leur charisme particulier qui se déploie, en particulier à travers la louange chantée, a magnifié la liturgie de ce haut lieu de spiritualité mariale depuis 1978 date à laquelle le Diocèse de Nice les a appelées à servir à Laghet.

Nous saluons l’arrivée de notre nouveau recteur en la personne du père Roger Hébert, avec qui le sanctuaire écrira une nouvelle page de son histoire, sous le regard et la protection maternelle de Notre-Dame de Laghet. Il sera installé le samedi 9 septembre par Monseigneur Jean-Philippe Nault, évêque de Nice. Lors d’une récente interview le père Roger Hébert confiait « avoir accepté avec enthousiasme sa nouvelle fonction et évoquait « la joie de se donner » qui l’habitait déjà lors de son ordination sacerdotale le 10 juin 1984 à Ars ! » (2).

Don de soi également pour une soeur Bénédictine du Sacré-Coeur de Montmartre, au service du Sanctuaire de Laghet depuis 24 ans qui, voyant notre tristesse devant son départ, nous rappelait que « L’essentiel c’est notre consécration ! ». Elle nous a donné, sans le savoir, le « fil rouge » qui relie l’ex-voto de ce jour avec l’épisode du Recouvrement au Temple de Jésus enfant, désireux de se donner aux affaires du Père. Quoi de plus édifiant pour illustrer « l’oblation de soi » pour le Royaume que cet ex-voto, unique à Laghet, offert par un futur prêtre resté anonyme. Ce tableau votif, de type « chambre de malade », daté de 1856, fut déposé suite à une grâce de guérison obtenue par la prière adressée à la Vierge Marie. Le futur prêtre est figuré en deux temps sur la composition. A droite, alité en chemise, entouré par trois camarades du séminaire qui le présentent à Marie, puis à gauche devant un meuble-oratoire, revêtu de la soutane, remerciant à genoux la bonne Vierge laghetane pour sa guérison. Comme le veut la tradition, Notre-Dame de Laghet est représentée avec les attributs d’une Vierge du Carmel sur cette huile sur toile d’excellente facture (3). Pour la petite histoire il n’était pas rare qu’au XIXe siècle les prêtres portent discrètement le scapulaire du Carmel (4) sous la soutane, celle-ci symbolisant dès le diaconat l’entrée progressive dans le don de soi-même (5).

Revenons un instant aux Paroles prononcées par la Vierge Marie puisqu’il s’agit du thème choisi pour l’année 2023. Le second chapitre de l’Evangile de Luc insiste sur les rites et prescriptions de la Loi hébraïque, suivies à la lettre par Joseph et Marie après la naissance de Jésus : réception du nom au 8ème jour ; circoncision, venue au Temple de Jérusalem pour la consécration au Seigneur du « premier-né de sexe masculin » avec l’offrande en sacrifice de deux tourterelles, rite accompagné des étonnantes prophéties de Syméon et de Anne, fille de Phanuel. Enfin, lorsque Jésus eut atteint 12 ans, âge de la maturité religieuse, montée au Temple de Jérusalem pour Pessah, la Pâque juive, durant laquelle, selon certains biblistes, Jésus aurait pu faire sa Bar-Mitsva (6). C’est sur le chemin de retour que Marie et Joseph se rendirent compte que Jésus n’était pas avec le groupe d’enfants de la caravane… Ils rebroussèrent chemin et le retrouvèrent, au bout de trois jours (7), dans la cour des prêtres…assis avec les docteurs de la Loi : « Il les écoutait et leur posait des questions » (Luc 2,46). Luc clôt ce second chapitre par ce dialogue étonnant entre une mère et son fils âgé de 12 ans. « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! ». Jésus a alors cette réponse d’une liberté et d’une maturité inouïes pour un enfant de cet âge : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? ». La réponse de Jésus n’est en rien irrespect à l’égard de sa Mère et de Joseph… elle se réfère à la tradition orale d’Israël. En effet, selon la Loi, c’est précisément au moment de la Haggadah de Pessah commémorant la sortie d’Egypte du peuple juif, que les pères transmettent à leurs fils le récit des miracles et prodiges par lesquels Dieu a fait sortir son peuple d’Egypte, le libérant ainsi de la domination et de l’esclavage… Ce jour-là, à l’exemple de Jésus, les fils questionnent et interrogent les anciens… chacun bien sûr selon son degré de maturité !

Luc de poursuivre, « Ce jour-là Jésus descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa Mère gardait dans son coeur tous ces événements » (Luc 2,51). Durant sa vie publique Jésus n’aura de cesse de réitérer son engagement « aux affaires du Père » jusqu’au don total de sa vie. En vrai « fils du commandement » (Bar-Mitsva) il l’enseigna aux autres… comme le rapporte Mathieu (22, 35-40), « Maître dans la Loi quel est le plus grand commandement ? Jésus lui répondit avec un passage du Lévitique (19,18) : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes ». Dans Mathieu (5,17), « Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir », et Jean (4,34), « Ma nourriture c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé »… autrement dit, « L’essentiel c’est notre consécration » comme nous le rappelait la soeur Bénédictine il y a quelques jours. Pour le baptisé faire la volonté du Père s’entend aussi bien dans la vie consacrée que dans le sacerdoce ou l’état laïc. Ici arrive la « question qui fâche ». Dans notre monde où les valeurs sont dissoutes peu à peu dans le laïcisme et la « fraternitude », altérées par le grand tout de la mondialisation heureuse, comment entrer dans notre héritage, « notre filiation » ? Quelle place laissons-nous à l’homme intérieur ? Quelle part a notre consécration personnelle au coeur d’un monde de prospérité matérielle mais d’aridité morale et spirituelle… Jusqu’à quel point va notre désir de liberté… pour accueillir les promesses de « notre baptême » selon la définition de saint Paul dans sa Lettre aux Galates ?

« Car tous, dans le Christ Jésus,

vous êtes fils de Dieu par la foi.

Vous tous qui avez été baptisés en Christ,

vous avez revêtu le Christ ».

« … Et si vous appartenez au Christ,

vous êtes de la descendance d’Abraham :

vous êtes héritiers selon la Promesse ».

Galates 3,26-27 et 29

Commentaire : Patrizia COLLETTA, « Médiation, Art & Foi »

Notes : (1) Pandémie de Covid-19 ; (2) Interview sur sanctuaire-laghet.fr ; (3) Huile sur toile avec son cadre : H 50 cm, L 60 cm, panneau de droite en entrant dans le cloitre ; (4) A propos de l’Imposition du Scapulaire du Carmel et du privilège sabbatin (religieux et laïcs) cf. carmel.asso.fr ; (5) Code de Droit Canonique, article 284 ; (6) Bar-Mitsva, littéralement « fils de la Mitsva », âge de la maturité religieuse à partir duquel il incombe au garçon de porter les téfilines (phylactères) et d’accomplir les mitsvot (commandements) contenus dans la Torah. Dans notre mentalité actuelle il s’agirait de l’âge à partir duquel on considère qu’une personne est capable de « discernement », donc pour un chrétien, d’agir dans le sens de ce que souhaiterait le Père… afin que « son règne advienne ». Pour les rites du judaïsme : conférences Claude Riveline sur akadem.org ; articles sur chabad.org ; (7) Préfiguration des 3 jours écoulés entre la mort et la Résurrection de Jésus