« L’EX-VOTO DU BIGARADIER OU LA GRÂCE AU QUOTIDIEN »
par Patrizia Colletta, « Médiation, Art & Foi »
Alors que l’Eglise accueille le 267è successeur de Pierre, nous voudrions proposer aux lecteurs de cette rubrique de porter un regard d’actions de grâces sur un ex-voto discret. Discret par la banalité de la scène puisqu’il donne à voir la chute d’un cultivateur de bigaradiers une espèce endémique de Nice, Monaco et la Riviera. Discret par les multiples vertus du bigaradier, le Citrus aurantium, ou oranger de Séville, un agrume aromatique cultivé depuis des siècles pour son aspect ornemental, ses fleurs dont on tire l’essence de Nérolium très recherchée par les parfumeurs, son huile essentielle, son eau de fleurs d’oranger utilisée en herboristerie et ses fruits à la saveur singulière dont on fait de délicieuses confitures. Une dégustation à la saveur douce-amère qui n’est pas sans rappeler la condition de l’homme en proie aux aléas du quotidien. Discret, par l’intérêt historique de cet ex-voto, daté du 13 décembre 1898, au regard de l’histoire du Sanctuaire de Notre-Dame de Laghet et le patronyme pontifical choisi par le nouveau pape, Léon XIV, à la suite de Léon XIII son très marial prédécesseur…
Voyons tout d’abord l’image soulignée par un cartouche très sobre : « EX-VOTO de CIOCCO Fois le 13 DECEMBRE 1898 ».
Il s’agit d’une peinture sur carton, un support relativement fragile qui explique la qualité moyenne de l’image parvenue jusqu’à nous et les craquelures de surface de la couche picturale causées par le temps. La scène montre un couple dans un verger devant une imposante maison à trois niveaux et sa tonnelle. Face à nous un local fermé par des portes de bois pourrait être un espace de travail et le petit appentis au toit rouge à droite un local à outils. La propriété de François Ciocco et de son épouse se situe sur les pentes boisées du Mont Gros (374 m) à Nice juste sous la célèbre coupole de l’Observatoire astronomique classé monument historique (1). En contrebas on reconnait la bibliothèque un grand bâtiment jaune à deux ailes. Le tout domine le quartier Saint Roch où les maisons niçoises entourées par les orangeraies ont peu à peu cédé la place à un urbanisme galopant… nécessité oblige ! La palette aux couleurs pastel, les arbres fruitiers chargés de fruits et le paysage verdoyant, rien ne laisse rien prévoir le drame qui faillit se nouer ce jour-là. Par une belle journée de décembre 1898, François Ciocco, armé d’une serpette, prodigue les derniers soins aux bigaradiers avant la cueillette des oranges amères dont le ramassage s’effectuera quelques semaines après de janvier à mars. Juché tout en haut de l’échelle fruitière (2), il s’applique aux gestes traditionnels appris des anciens, lorsque tout à coup le voilà qui tombe à la renverse sous le regard médusé de son épouse, en grand tablier, au centre de la scène. Le geste des bras levés en direction du ciel, exprime à la fois l’impuissance humaine et l’élan de prière spontanée… Avec une lame tranchante à la main la chute aurait pu être fatale au producteur d’agrumes depuis une échelle fruitière s’élevant à 4 mètres, si une aide providentielle n’avait fait irruption au coeur du drame… Le secours viendra de Notre Dame de Laghet, représentée par le peintre avec l’Enfant Jésus, juste au-dessus du bigaradier, lieu de la chute. Le brave homme s’en tira avec quelques hématomes… Chrétiens priants et reconnaissants François Ciocco et son épouse firent réaliser cette jolie scène bucolique, évocatrice des traditions fruitières de notre belle région au XIXè, en prenant bien soin d’attester en personne de la grâce de protection obtenue par la bonne Vierge de Laghet ce 13 décembre 1898.
Mais, l’ex-voto de François Ciocco témoigne aussi, aujourd’hui et d’une manière inattendue, pour l’histoire du Sanctuaire de Notre-Dame de Laghet cher au coeur des Niçois et des Monégasques. Chacun se souvient des 3 premiers prodiges de 1652, qui virent accourir les foules, de la commission convoquée par Mgr de Palletis, Evêque de Nice qui, ayant conclu à l’authenticité de plus d’une vingtaine de miracles autorisa, fin 1653, le « culte local à Notre-Dame de Laghet ». Au vu du nombre de pèlerins qui venaient Nice et région, Monaco et la Ligurie voisine se recommander à la Vierge Marie dans la petite chapelle rurale, l’évêque décida de la construction d’un édifice plus vaste.
L’église actuelle du sanctuaire fut donc inaugurée le 21 novembre 1656, mais ce n’est qu’au XIXè siècle que parvint entre les mains de Mgr Henri Chapon (1845-1925), évêque de Nice (3) le « Bref pontifical » du pape Léon XIII, daté du 29 septembre 1898, proclamant le « culte universel de Notre-Dame de Laghet » (4). Depuis plus de 370 ans la protection de la Vierge de Laghet n’a jamais manqué pour ceux qui se fient à elle dans une prière de confiance et de simplicité pour leur quotidien à l’instar de François Ciocco et de son épouse qui déposèrent cet ex-voto quelques semaines après la proclamation du « culte universel de Notre-Dame de Laghet » par le pape Léon XIII.
Lorsque le 8 mai dernier, le Cardinal Robert Francis Prevost devient le 267è successeur de Pierre sous le nom de Léon XIV…les commentateurs évoquent aussitôt le rôle majeur des textes de Léon XIII pour la doctrine sociale de l’Eglise, l’encyclique Rerum Novarum de 1891 alors que le monde du XIXè siècle faisait sa « révolution industrielle ». Le nouveau pape aurait confié vouloir se situer à son tour dans l’axe des préoccupations de l’Eglise du XXIè siècle, dans un contexte de « changement d’époque » (5) et de « révolution numérique ».
Si la pénétration de l’intelligence artificielle dans toutes les sphères de l’activité humaine, peut servir le bien commun, elle peut aussi alimenter l’esprit de domination chez l’homme et contribuer à faire la guerre… Une douloureuse réalité de notre temps qui va interpeller l’Eglise en matière de doctrine sociale, « Un corps de doctrine actualisé qui s’articule au fur et à mesure que l’Eglise interprète les événements à la lumière de la foi et de la Tradition chrétienne, dans le but d’orienter l’agir chrétien » comme le rappelait le pape Jean-Paul II (6).
Le pape Léon XIV s’est présenté avec simplicité à la foule massée Place Saint Pierre et aux millions de téléspectateurs chrétiens à travers le monde comme un « fils de Saint Augustin » puis citant la Parole de vie : « Que la Paix soit avec vous tous ! ». Avant de rendre hommage au feu pape François, le saint Père a proposé la récitation d’un vibrant Ave Maria que tous ont repris d’un seul coeur.… Peut-être un autre point de convergence avec son prédécesseur le pape Léon XIII, auteur de 12 encycliques mariales, qui fut surnommé « le pape du Rosaire »(7), la prière de la dévotion et de la piété populaire (8). Dans les temps troublés et violents qui sont les nôtres et par la grâce inattendue de ce fil ténu qui relie l’histoire de notre sanctuaire (9) au pape Léon XIII et à son successeur aujourd’hui, courons à Jésus afin qu’il augmente en nous la Foi, l’Espérance et la Charité. Ayons à coeur de confier le pontificat de Léon XIV à l’intercession de Notre-Dame de Laghet, Mère de Dieu et Mère des hommes… pour la gloire de Dieu et le salut des âmes !
« A leur arrivée ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement : c’était Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélémy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée, Simon le zélote et Jude fils de Jacques. Tous, d’un même coeur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus et avec ses frères ».
Livre des Actes des Apôtres 1, 13-14
Commentaire : Patrizia COLLETTA, « Médiation, Art & Foi ».
Notes : (1) Site astronomique du Mont Gros à Nice sur oca.eu ; (2) L’échelle fruitière de différentes tailles assure l’accès aux branches les plus élevées et la sécurité en hauteur ; (3) Voir sur nice.catholique.fr l’exposition organisée jusqu’au 31 août par le Centre diocésain d’art sacré, consacrée à Mgr Henri Chapon : « Un prélat face aux défis de la modernité » ; (4) « Bref pontifical » ou « Bref apostolique » : acte administratif du Saint-Siège appelé ainsi à cause de sa brièveté. Le Bref autorisant le Culte universel de N-D de Laghet devrait se trouver dans les archives de l’évêché de Nice ; (5) Léon XIV dans son Discours aux membres du corps diplomatique, le 16 mai 2025 : « J’ai choisi mon nom en pensant avant tout à Léon XIII. Dans le changement d’époque que nous vivons, le Saint-Siège ne peut s’empêcher de faire entendre sa voix face aux nombreux déséquilibres et injustices… » ; (6) Encyclique Sollicitudo rei socialis, donnée en 1987 ; (7) Léon XIII, de son état civil Vincenzo Pecci (1810-1903), intellectuel et homme de prière, donna 75 encycliques durant les 25 années de son pontificat, dont 12 consacrées à la Vierge Marie et Diuturni temporis sur le Rosaire en 1898. Il portait lui-même un scapulaire et encourageait les fidèles à faire de même ; (8) Le Cardinal Robert Prévost accompagnait le pape François lors de sa visite historique en Corse le 15 décembre 2024 à l’occasion du Colloque sur « La religiosité populaire en Méditerranée » organisé par l’évêché d’Ajaccio ; (9) Librairie du sanctuaire : P. & G. Colletta, « Les ex-voto de Laghet. Un mémorial entre ciel et terre », Serre Editeur, 2021, page 32.