10 novembre : 32° dimanche ordinaire
Elle a dû être étonnée cette pauvre femme, quand elle est arrivée au ciel, de l’accueil qui lui a été réservée : tapis rouge, haie d’honneur des anges qui se poussaient de l’aile en chuchotant, c’est bien elle, c’est bien elle ! Alors, j’imagine bien volontiers qu’à un moment donné, accompagnée de son ange gardien qui la tenait par le bras, elle a dû s’arrêter pour lui demander, mais c’est quoi tout ça ? Pourquoi tous ces anges se disent l’un à l’autre : c’est bien elle ? Pourquoi ce tapis rouge ? Le responsable du protocole a dû faire erreur en le déroulant pour moi ! Et les anges, les pauvres, ils ont sûrement été bien mal informés sur qui entrait au ciel pour m’escorter de la sorte ! Alors son ange gardien, tout sourire, a dû lui répondre : non, il n’y a aucune erreur, c’est bien toi qui étais attendu ! Jésus t’a vu un jour où tu étais venue déposer tes deux piécettes dans le tronc de la salle du trésor, au Temple. Il t’a vu une fois, mais Dieu t’a vu toutes les fois où tu es venue, car, tout au long de ta vie, à chaque fois que tu le pouvais, tu es venue déposer ces deux piécettes. Alors, alerté par Jésus, Dieu avait donné des consignes : mobilisation générale du ciel pour l’accueillir quand elle arrivera ! Tu es arrivée, le ciel s’est mobilisé, c’est justice !
Je ne suis pas comme le curé de Cucugnan, je n’ai pas eu le privilège d’être transporté, en songe, dans l’au-delà, je n’ai donc pas vu ce que je viens de vous décrire, mais je suis sûr que ça s’est passé comme ça ! Parce que Dieu est Dieu, ça ne pouvait pas se passer autrement ! Mais, c’est vrai qu’elle a dû être bien attrapée car le jour où Jésus l’a vue, elle, elle n’a sûrement pas vu Jésus qui semblait, ce jour-là, avoir choisi un poste d’observation discrètement situé ! Elle n’a sûrement pas entendu les paroles que Jésus, voyant son geste, avait adressé à ses disciples. Pour elle, ce jour-là, comme toutes les autres fois où elle était venue accomplir le même geste, elle n’avait fait que son devoir, bien honteuse de ne pas pouvoir faire plus !
Mais alors qu’avait-il de si extraordinaire ce geste pour que Jésus en souligne la portée et pour que tout le ciel en souligne la valeur ? Je voudrais le développer en 4 points
1° point, il est absolument admirable : cette femme misérable n’en voulait pas à Dieu. Le terme que Jésus utilise pour parler d’elle, on aurait pu le traduire par ce terme souvent utilisé aujourd’hui de précarité, cette femme, elle était plus que pauvre. Eh bien, dans sa situation, elle aurait pu en vouloir au Bon Dieu en l’accusant de ne rien faire pour elle. Mais elle ne lui en veut pas, la preuve, elle vient au Temple et elle donne ce qu’elle peut. Et, non seulement, elle n’en veut pas au Bon Dieu, mais, en plus, elle ne lui demande rien ! En mettant ses deux piécettes elle ne demande aucune grâce, elle ne fait aucun chantage en disant : je suis encore venu aujourd’hui, mais si tu ne fais rien pour moi, je ne reviendrai plus ! Quand elle a mis ses deux piécettes dans le tronc, elle a sûrement fermé les yeux savourant le bonheur qu’elle avait de pouvoir donner, rendant grâce au Seigneur qui lui avait fait cette grâce extraordinaire de ne pas s’être renfermée sur elle, sur ses problèmes, et qui lui donnait tout à la fois la force et la joie de donner. Avouez que c’est extraordinaire !
Le 2° point est, lui aussi, absolument remarquable. Je soulignais qu’en glissant ses deux piécettes dans le tronc, cette femme était restée silencieuse, silencieuse à l’égard de Dieu et silencieuse à l’égard des hommes. Elle aurait pu essayer d’attirer l’attention sur son cas en pleurant fortement pour qu’on la remarque, s’accrocher au tronc après avoir donné en poussant des appels à l’aide. Elle aurait pu le faire car, dans le Temple, il y avait comme un service de bienfaisance. Les prêtres recueillaient la dîme que les croyants venaient verser, le Denier de l’Eglise de l’époque et sur cette dîme, ils prélevaient une dîme, la dîme de la dîme, qui servait justement à aider toutes les personnes nécessiteuses qui se présentaient au Temple. Oui, elle aurait pu essayer d’attirer l’attention pour qu’on lui verse sa part de la dîme de la dîme, elle ne l’a pas fait, estimant sans doute qu’il y avait des plus pauvres qu’elles qui en auraient encore plus besoin.
3° point qui développe ce que je viens de dire sous un autre angle. Cette femme misérable n’en voulait pas aux religieux qui géraient le Temple. C’est sûr que, pour être dans cet état de dénuement, cette femme ne percevait pas l’aide à laquelle elle aurait pu prétendre. Cette situation aurait pu provoquer chez elle un rejet des religieux qui géraient le Temple et les dons qui y étaient déposés. Elle aurait pu leur en vouloir de ne jamais l’avoir remarquée, de ne jamais avoir essayé d’entrer en contact avec elle pour comprendre sa situation. Elle aurait pu dire : ces curés, tous les mêmes, quand il s’agit de parler de charité, ils sont forts, mais quand il faut la vivre, il n’y a plus personne ! Elle aurait pu le dire et on aurait compris qu’elle le dise, mais elle ne l’a pas dit ! Elle a continué à venir au Temple pour y déposer fidèlement sa modeste offrande ; elle n’a pas pris prétexte des défaillances du clergé pour ne plus honorer son Seigneur.
4° point : Cette femme si misérable était d’une générosité extraordinaire. En effet, le texte dit qu’elle a donné deux piécettes alors que le tarif pour les nécessiteux était d’une piécette, sachant qu’ils pouvaient aussi se dispenser de donner. Cette femme, non seulement elle ne se sert pas de la dispense, mais en plus, elle donne deux fois plus que ce qui est demandé !
Je termine en soulignant que, dans l’Evangile de Marc, cet épisode s’est passé quelques jours avant le début de la passion. Avec tout ce que je viens de dire, on comprend que Jésus, sachant que le moment de donner sa vie était tout proche, ait voulu graver dans son cœur cette scène. Peut-être qu’au moment des souffrances extrêmes quand le diable venait le faire douter, le souvenir du geste de cette femme l’a encouragé à faire comme elle, à tout donner, à se donner.
Vous savez comment se termine la parabole du bon samaritain : va et, toi aussi, fais de même ! Eh bien, demandons, par l’intercession de Notre Dame de Laghet, la grâce de faire de même : faire comme cette veuve misérable qui revient à faire comme Jésus.