15 septembre : 24° dimanche du temps ordinaire

Par Père Roger Hébert

Je dis souvent que j’aimerais bien, un jour, avoir le temps de calculer tous les kilomètres que Jésus a pu faire, à pied, avec ses disciples. Aujourd’hui, l’Evangile nous le présente en route vers Césarée de Philippe, mais d’où venait-il ? Si on regarde ce qui précède cet épisode, il est clair que Jésus est au bord du lac de Galilée. Eh bien, figurez-vous que Césarée de Philippe se trouve à 40 km au nord de ce lac. Si je me réfère à mon expérience sur le chemin de Compostelle, pour les marcheurs d’aujourd’hui, 40 km c’est deux jours de marche, à l’époque, sans doute, les faisait-on en une seule journée. Comme la marche était le principal moyen de locomotion, les gens étaient entrainés et résistants.

Si j’évoque cela, c’est simplement pour mieux comprendre l’Evangile d’aujourd’hui. Jésus avait donc une journée entière de marche avec ses apôtres. Sans doute parlaient-ils en chemin de ce qu’ils voyaient, revenaient-ils aussi sur ce qu’ils avaient vécu, sans doute plaisantaient-ils aussi ensemble car je suis sûr que Jésus aimait rire. Si vous en doutez, lisez l’excellent livre de Didier Decoin : Jésus, le Dieu qui riait ! Mais sans doute aussi, profitait-il de ces temps pour catéchiser, former ses disciples. Et l’Evangile d’aujourd’hui nous montre comment Jésus s’y prenait pour former ses apôtres au cours d’une marche. Il lançait une question : Au dire des gens, qui suis-je ? Puis il devait laisser le temps aux apôtres d’en parler entre eux et, au bout d’un moment, recueillait leurs réponses : Certains disent que tu es Jean le Baptiste ; d’autres, que tu es Élie ; et pour d’autres encore, tu un des prophètes. Et il relançait la réflexion avec une nouvelle question : Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? Est-ce que la réponse de Pierre a fusé tout de suite ou est-elle venue après un moment où Jésus a demandé à chacun d’y réfléchir en silence et personnellement ?

A vous de choisir le scénario que vous préférez ! Toujours est-il que nous connaissons cette réponse : Tu es le Christ ! Quel contraste avec les réponses données par les gens ! Vous aurez remarqué que les gens citaient tous des personnages du passé, Pierre, lui, il répond en disant à Jésus : Tu es le Christ, autrement dit le Messie. Très belle réponse qui, chez les autres évangélistes, pousse Jésus à féliciter Pierre tout en lui disant qu’il n’y avait que l’Esprit-Saint pour lui souffler une telle réponse. Avant de chercher à comprendre pourquoi Jésus va vite changer de ton et traiter Pierre de Satan, je voudrais m’arrêter un peu sur cette belle réponse de Pierre.

Quand Pierre dit à Jésus : Tu es le Christ, c’est-à-dire le Messie, c’est un peu comme s’il lui disait : tu es celui qui vient accomplir toute l’espérance d’Israël, tu es celui qui vient répondre aux désirs les plus essentiels de mon cœur. Voilà comment on peut définir le Messie pour un juif. On comprend que Jésus puisse féliciter Pierre pour cette réponse. Il le félicite aussi parce qu’en disant cela, Pierre ne considère plus Jésus comme un personnage du passé, mais comme une personne qui vient changer le présent de la vie des hommes.

Faisons une petite pause pour nous poser une double question :

  • Pour moi, Jésus est-il une personne ou un personnage ? Un personnage du passé, aussi illustre soit-il, est quelqu’un dont on peut parler mais à qui et avec qui il est impossible de parler !
  • Si Jésus est une personne, je peux donc lui parler, mais est-ce que je peux lui dire en vérité : tu es celui qui vient répondre aux désirs les plus essentiels de mon cœur ?

Maintenant, avançons dans le texte et cherchons à comprendre pourquoi Jésus va passer des félicitations adressées à Pierre à cette réprimande si sévère puisqu’il le traite de Satan et qu’il le renvoie à sa place de disciple, une place qu’il n’aurait jamais dû quitter. Car c’est bien ce que signifie cet ordre de Jésus : Passe derrière moi ! Étymologiquement, le mot disciple signifie : celui sui suit, celui est derrière. Pierre avait quitté ce statut de disciple en prenant Jésus à part et en lui disant que ce qu’il venait d’annoncer était impensable, à savoir qu’il allait donner sa vie dans de grandes souffrances pour sauver les hommes. Là, Pierre n’est plus disciple puisqu’il se croit très bien placé pour faire la leçon au maitre !

Là encore, nous pourrions nous interroger pour savoir si, nous aussi, il ne nous arrive pas, de temps en temps, à vouloir faire la leçon au maitre ! Ça arrive à chaque fois où, dans nos prières, nous dictons au Seigneur ce qu’il devrait faire pour nous ou pour les autres, sans lui faire confiance, en croyant qu’il sait très bien comment répondre à nos désirs, à nos besoins les plus essentiels. Rappelons-nous toujours que le modèle de l’intercession, c’est Marie à Cana, elle fait remarquer à Jésus qu’il y a un problème, mais elle ne lui dit rien de ce qu’il doit faire et encore moins, comment il doit le faire et dans quel délai ! Plutôt que de vouloir faire la leçon au maitre, entrons dans cette attitude d’obéissance confiante parce que filiale à laquelle nous invitait le prophète Isaïe dans la 1° lecture : Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé.

Si nous nous laissons ouvrir l’oreille, si nous l’écoutons, si nous ne nous dérobons pas, alors, nous entendrons ce qu’il disait à tout le groupe, après avoir remis Pierre à sa place de disciple : Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Ce n’est pas une parole qui viendrait contrarier nos projets de vie, nos désirs de vivre à fond, au contraire ! Cette parole nous invite à suivre Jésus sur le chemin du plus grand amour, c’est ce qu’il dit en nous invitant à marcher à sa suite. Maintenant Jésus nous prévient, marcher à sa suite sur le chemin du plus grand amour exige des renoncements, exige que nous fassions parfois des choix crucifiants. En effet, nul ne peut marcher sur le chemin du plus grand amour sans renoncer à être auto-centré ou auto-référencé comme le dit le pape François. Tant que je me mets au centre de tout, qu’il n’y a, dans mes conversations, que des « moi, moi », tant que je veux être premier servi en tout et comme je le désire, je ne peux pas marcher derrière Jésus sur le chemin du plus grand amour. Mais rappelons-nous bien que la fécondité de nos vies sera à la mesure de notre don et cela n’est pas valable uniquement pour mes religieuses ou les prêtres !

Que Notre Dame de Laghet nous obtienne cette grâce de considérer Jésus comme une personne vivante avec qui nous aimons entrer en relation pour lui dire qu’il est celui qui répond à nos aspirations les plus profondes. Qu’elle nous obtienne la grâce de vivre comme de vrais disciples.