29 décembre : Fête de la Sainte Famille

Par Père Roger Hébert

J’ai cité aux retraitants cette parole de Ste Thérèse de Lisieux qui disait qu’elle avait rarement entendu des homélies sur la Sainte Vierge qui lui ait plu, parce que, disait-elle, les présentations que l’on faisait d’elle la rendait inabordable alors qu’il faudrait la rendre imitable. Ne croyez-vous pas que c’est aussi le cas des présentations de la Sainte Famille ? Ce que l’on dit sur cette Sainte Famille, les qualités qu’on lui attribue sont telles qu’elle devient totalement inabordable alors qu’il faudrait la rendre imitable. Aucune famille humaine n’est parfaite, aucune n’est épargnée par les conflits. Et, par rapport à la foi, chaque famille connait également ses difficultés avec certains de ses membres qui, à un moment donné, s’en éloignent. Les parents qui doivent tirer leurs ados à la messe savent très bien de quoi je parle … quand il ne s’agit pas du conjoint ! Alors, je comprends que les familles les plus en crise redoutent cette fête de la Sainte Famille au cours de laquelle on va leur parler de cette famille idéale qui risque de les faire déprimer un peu plus. Certains pourraient d’ailleurs dire avec malice : qu’est-ce qu’ils auraient fait Marie et Joseph si, au lieu d’avoir comme Fils unique, le Fils de Dieu, ils avaient eu 4 enfants dont deux dyslexiques qu’il faut faire travailler des heures chaque soir et deux autres hyperactifs impossibles à canaliser ?

Toutes les représentations idylliques de la Sainte Famille sont regrettables car l’Evangile ne nous dit pas grand-chose sur la vie de la Sainte Famille et le peu qu’il en dit, ce n’est pas pour la présenter comme hors du commun. Certes, elle est hors du commun par sa composition, mais ensuite pour la vie habituelle, la Sainte Famille a dû vivre ce que vivent toutes les familles. De ce point de vue, l’Evangile choisi pour cette fête est très intéressant puisqu’il nous présente la Sainte Famille à un moment de crise : Jésus a fugué ! Et les autres passages où il est question de la Sainte Famille nous la présentent dans des situations difficiles : un accouchement dans un lieu tellement improbable et ensuite la fuite en Egypte qui fait ressembler cette Sainte Famille à tant de familles de migrants fuyant leur pays pour préserver leur vie. C’est donc bien dommage qu’on présente la vie de la Sainte Famille comme un long fleuve tranquille ! Les quelques mentions sont, au contraire, un encouragement pour toutes les familles malmenées par la vie à se tourner vers elle en disant : Sainte Famille, toi qui as connu tant de difficultés, tu nous comprends et tu compatis à nos difficultés, alors intercède pour nous afin que nos épreuves ne nous fassent pas sombrer.

Et, il y a, en plus, dans l’Evangile que nous avons entendu, un point qui peut encore rapprocher la Sainte Famille de nos familles. Je ne sais pas comment vous réagissez quand vous entendez Jésus dire à ses parents qui l’ont cherché toute une journée : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Moi, cette parole, elle m’est toujours restée en travers de la gorge. Au lieu de s’excuser pour le souci qu’il leur a causé, c’est comme si Jésus disait à ses parents : je me demande pourquoi vous m’avez cherché, ça tombait sous le sens, j’étais au Temple pour m’occuper des affaires de mon Père, vous auriez dû vous en douter et respecter mon choix ! Pas étonnant que Luc reprenne ce petit refrain qui revient plusieurs fois dans l’Evangile de l’enfance, précisément à des moments où Marie a du mal à comprendre ce qui se passe et pourquoi ça se passe comme ça : Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements parfois il rajoute qu’elle les méditait, signe, justement, qu’elle ne les comprenait pas. Là, il y a de quoi ne pas comprendre l’attitude, les paroles de Jésus. C’est pour cela que je vous disais que ces paroles me restaient en travers de la gorge.

Pour préparer une intervention sur les Evangiles de l’enfance, j’ai lu le commentaire d’un grand spécialiste du grec qui m’a aidé à entendre autrement les paroles de Jésus. Il fait remarque que, à la suite des paroles de Jésus, il est dit dans l’Evangile : ses parents ne comprirent pas ce qu’il leur disait. Ce commentateur fait remarquer que la traduction n’est pas tout à fait juste, le temps de la conjugaison utilisé en grec n’a pas été respecté dans la traduction en français. En fait, il faut lire non pas : ses parents ne comprirent pas ce qu’il leur disait mais ses parents ne comprirent pas ce qu’il leur avait dit. 

Autrement dit, à ses parents qui lui disent : pourquoi nous as-tu fait cela, sous-entendu, pourquoi ne pas nous avoir expliqué que tu ne rentrais pas avec nous, Jésus fait référence au fait qu’il les avait prévenus, mais que, Marie et Joseph, n’avaient pas compris ce qu’il essayait de leur expliquer. Et, là, ça change tout, car la réponse de Jésus n’a plus cette connotation insolente qui nous met mal à l’aise. Ce pèlerinage à Jérusalem, il correspondait, pour Jésus, à sa « Bar-Mitsva » c’est un peu l’équivalent, pour les juifs de ce qu’était chez nous, il y a quelques dizaines d’années, la communion solennelle. On la faisait au moment du certificat d’études qui marquait un seuil, on quittait l’école pour entrer en apprentissage à un moment où il y avait peu de monde qui continuait dans les études. Avec la communion solennelle, on n’était plus un enfant et, à l’époque, on ne parlait pas tellement d’adolescence, on devenait un petit adulte. C’était exactement le sens de la Bar-Mitsva. La famille organisait une fête pour que tout le monde accompagne cet enfant qui n’en était plus un ! Jésus, dans la perspective de sa Bar-Mitsva avait dû parler avec Marie et Joseph, expliquant qu’il quittait l’enfance et qu’il allait entrer dans une nouvelle phase de sa vie au cours de laquelle, le Père du ciel allait tenir une place de plus en plus grande. Mais ses parents ne comprirent pas ce qu’il leur disait !

Et, là, on comprend qu’ils ne comprennent pas parce que ce n’est jamais simple pour des parents d’entendre que leur enfant va leur échapper, surtout pour une mère, d’ailleurs ! Vraiment, je trouve cette interprétation très belle parce qu’elle rapproche vraiment la Sainte Famille de nos familles. Elle a vécu ce que toutes les familles vivent au moment où leurs enfants prennent leur envol, un moment difficile. Du coup, c’est une raison supplémentaire pour les familles que je qualifierais de « normales » parce qu’elles traversent des difficultés de se tourner vers la Sainte Famille en implorant son intercession. Une mère qui a du mal à couper le cordon peut invoquer la Sainte Vierge Marie en lui disant : aide-moi, tu comprends ce que je vis, tu y es passée ! Un père qui ne sait plus bien se situer avec son ado peut se tourner vers St Joseph en lui disant : aide-moi, tu comprends ce que je vis, tu y es passé !

Par l’intercession de la Sainte Famille, demandons que le Seigneur assiste toutes nos familles, toutes les familles du monde dans les difficultés qu’elles peuvent traverser.