3 novembre : 31° dimanche ordinaire

Par Père Roger Hébert

La question que pose ce scribe, pour une fois sans arrière-pensées tordues, était une question classique à l’époque de Jésus. Les différents rabbis et leurs élèves organisaient des débats qui pouvaient se terminer en véritables compétitions à partir de la question posée par ce scribe : comment résumer toute la loi ? Le scribe met la pression à Jésus parce qu’il lui demande de citer le commandement qu’on pourrait mettre en tête de listes de tous les commandements et qui résumerait tous les autres. Dans les écoles rabbiniques, quand on abordait ce genre discussion, d’abord il y avait une question préalable et ensuite le défi était quand même moins contraignant.

  • La question préalable, c’était de savoir si on pouvait résumer la loi, classer les commandements par ordre d’importance ou s’ils étaient tous d’égale importance, rendant tout classement, tout résumé impossible et même dangereux puisqu’il risquait de faire tomber dans un certain relativisme.
  • Le défi était aussi moins contraignant puisque ceux qui acceptaient qu’on puisse résumer la loi, définir un ordre de priorité dans les commandements, proposaient de faire ce résumé en prenant appui sur une seule jambe. Ainsi donc, ceux qui tenaient cet équilibre longtemps avaient la possibilité de faire un résumé déployé et ceux qui ne tenaient pas l’équilibre devaient avoir un résumé bien plus concis.

On voit que Jésus n’appartient pas à la catégorie de ceux qui pensent que, dans la loi, tout a une même importance. Et il a bien raison car vous savez que la Loi, c’était les 10 commandements et les 613 prescriptions qui détaillaient les devoirs des croyants. Dans un ensemble aussi vaste, forcément tout ne se vaut pas, tout n’a pas une égale importance. Bien que n’appartenant pas à une école rabbinique et donc n’étant pas entrainé à ces joutes oratoires, Jésus n’a pas besoin de savoir combien de temps il pourra tenir sur une seule jambe pour répondre à la question ! Et, comme Jésus est très malin, sans en avoir l’air il fait une triple réponse, alors qu’on lui avait demandé une réponse unique ! Le scribe lui avait demandé de donner le commandement, classé en premier, qui résumerait tous les autres, mine de rien, Jésus va en donner 3 ! Regardons-les successivement.

Le 1° commandement qu’il cite, il ne faudrait surtout pas l’oublier, c’est : Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l’Unique ! Pour que nous comprenions le côté percutant de ce commandement que Jésus a tenu à citer en 1°, je vous propose de remplacer Israël par votre prénom. Pour moi, c’est donc : Écoute, Roger : le Seigneur ton Dieu est l’Unique. Dans sa réponse, Jésus pointe donc cette nécessité primordiale de l’écoute. Oh, tant de choses se passeraient mieux dans nos journées si nous écoutions le Seigneur, sa Parole et si nous écoutions vraiment les autres. Vous connaissez la boutade : Dieu nous a fait une seule langue mais deux oreilles pour que nous écoutions deux fois plus que nous ne parlons ! Alors, écoute, c’est le tout premier commandement ! Et, ensuite, il faut préciser ce que je dois écouter et réécouter. Ce qui doit mobiliser mon attention, c’est la déclaration essentielle : Le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Vous savez quand un enfant fait de bonnes blagues, qui force notre admiration, on dit parfois : lui, il est unique ! Eh bien, c’est dans ce sens qu’il faut comprendre que Dieu est unique. Nous sommes invités à vivre notre relation à lui dans la gratitude : tu m’aimes d’une manière unique, tu m’accompagnes et m’encourages de manière unique ! Et, bien sûr, dire que Dieu est l’Unique, ça signifie que je dois congédier de ma vie, toutes les idoles qui avaient pris une place que Dieu seul devait tenir dans ma vie, c’est-à-dire la 1° !

Le 2° commandement que Jésus va citer, il se situe juste à la suite dans la Bible, nous l’avons entendu dans la 1° lecture : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme,
de tout ton esprit et de toute ta force. 
On pourrait expliciter cette Parole en disant : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu avec tout ce que tu es. Dans cette énumération, cœur, âme et force on entend bien que c’est toute notre personne qui doit s’engager dans le combat pour l’amour de Dieu. Le Seigneur ne veut pas être aimé juste par une partie de nous-mêmes, l’âme, cette partie spirituelle de nous-même, le reste faisant ce qu’il veut. Non ! C’est de nous, tout entier que le Seigneur veut être aimé. C’est toute notre personne qui doit s’engager dans l’amour de Dieu.

Alors, nous comprenons vite qu’il y aura forcément des combats à mener pour que tout notre être aime le Seigneur. Un vrai oui au Seigneur devra forcément être accompagné de vrais non, de renoncements qui pourront être, à certains moments, crucifiants, mais c’est la vérité de notre amour qui est en jeu.

Enfin le 3° commandement que Jésus va citer en disant qu’il est frère jumeau du précédent, c’est celui qui concerne l’amour du prochain : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Cette mention du « comme toi-même » pourrait nous gêner un peu et cela pour deux raisons :

  • La 1°, c’est que ça donne un caractère un peu égoïste à l’amour de l’autre. Jadis, un chanteur proclamait : confidence pour confidence, c’est moi que j’aime à travers vous ! Si c’est ce que veut dire Jésus, ce n’est pas très brillant !
  • La 2° raison pour laquelle nous pourrions être gênés par cette formulation, aimer l’autre comme soi-même, c’est qu’il y a plein de gens qui n’arrivent pas à s’aimer, alors comment font-ils ceux-là pour aimer les autres comme eux-mêmes ?

J’ai lu, un jour, le commentaire d’un exégète qui expliquait que la phrase qu’on a traduite par : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, on aurait pu la traduire par : Tu aimeras ton prochain qui est un autre toi-même.J’avoue que j’aime beaucoup cette formulation qui dit que mon prochain, il est comme moi, c’est-à-dire qu’il est pauvre et qu’il a besoin d’être aimé. Nous avons tous besoin d’être aimés parce que nous sommes fondamentalement des pauvres. Comme le monde serait beau si nous acceptions tous de reconnaître notre pauvreté et donc notre radical besoin d’être aimés. Comme le monde serait beau si nous considérions chaque personne comme un autre nous-mêmes, qui a, avant tout, besoin d’être aimée, parce que, comme moi, elle est pauvre et donc mendiante d’amour.

Manifestement, à la fin du texte, en reprenant ce que Jésus vient de dire, le scribe acquiesce et c’est beau qu’un scribe soit d’accord avec Jésus ! Mais ce qui est étonnant, c’est que Jésus ne s’enthousiasme pas devant l’acquiescement du scribe, il lui dit seulement : Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. Il aurait pu être plus positif, pas loin, c’est quand même restrictif ! Oui, mais Jésus attend de voir comment ce scribe va vivre tout ce que Jésus vient de dire et qu’il a ratifié. Réciter le catéchisme par cœur, c’est bien, mais encore faut-il le vivre ! Vous savez que je suis lyonnais et les Lyonnais ont l’habitude de mettre des y de partout, en bon langage lyonnais, on aime dire : y suffit pas d’y dire, y faut y faire ! Même si Jésus n’était pas lyonnais, c’est ce qu’il veut dire à ce scribe en lui disant : Tu n’est pas loin du Royaume !

Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons la grâce d’écouter le Seigneur, de l’aimer de tout notre être, Lui qui est Unique et d’aimer notre prochain qui est un autre nous-mêmes. Demandons-lui aussi la grâce de ne pas seulement le dire, mais aussi de le faire !