4 mai : 3° dimanche de Pâques C : Entre 4 « zyeux » !

Par Père Roger Hébert

Il vous est sûrement arrivé de prendre quelqu’un entre quatre « zyeux », comme on dit, en faisant une liaison étonnante ! Et si ça ne vous est pas arrivé, je suis sûr que vous en avez rêvé plus d’une fois ! Parce que vous savez, quand on prend quelqu’un entre quatre « zyeux », c’est parce qu’il nous a fait une vacherie et donc on a envie de régler nos comptes, lui dire nos quatre vérités, et le faire avec suffisamment de fermeté pour que ça lui passe l’envie de recommencer ! Je suis sûr que Jésus, juste après sa résurrection, a eu envie de prendre Pierre entre quatre « zyeux ».

Reconnaissez, comme on le dit aujourd’hui, que Jésus avait un vrai dossier sur Pierre. Il avait fanfaronné devant tous les autres en disant : eux, ils pourront peut-être tous t’abandonner, mais, moi, tu pourras compter sur moi, je suis prêt à mourir pour toi ! Et on connait la suite, je me permets quand même de vous résumer les exploits de Pierre, enfin quand je dis exploits, vous comprenez que c’est ironique ! Et ça commence dès le jardin de Gethsémani, Jésus lui demande de veiller avec Jacques et Jean, au plus près de lui car son âme est triste à en mourir et vous connaissez la suite : par trois fois, Jésus le retrouve endormi comme les autres alors qu’il avait promis de ne pas être comme tous les autres ! Et, juste après quand ça commence à chauffer, il va fuir. Certes, il a eu le courage de sortir son épée, mais comme il a encaissé une sévère remontrance de la part de Jésus, il fuit, avec tous les autres alors qu’il avait promis de ne pas être comme tous les autres ! Il se ressaisit un peu et va dans la cour du palais du grand prêtre et c’est là qu’il va renier Jésus 3 fois parce qu’une simple servante lui fait peur ! Aucun courage comme les autres alors qu’il avait promis de ne pas être comme tous les autres ! Quant au chemin de croix, au Golgotha, il n’y était pas, comme les autres alors qu’il avait promis de ne pas être comme tous les autres !

Quand je dis que Jésus avait un dossier sur Pierre, vous voyez que c’est du lourd ! On comprend qu’il souhaite le voir entre quatre « zyeux » ! Il attendra quelques jours, il attendra comme toujours le moment favorable. Et, ce moment favorable va se présenter en ce petit matin où les apôtres étaient repartis à la pêche, c’est-à-dire qu’ils avaient décidé de reprendre leur vie d’avant. Et Pierre était avec les autres alors qu’il avait promis de ne pas être comme tous les autres ! Et, là, c’est même pire puisque c’est lui qui les a entrainés à la pêche, ce qui correspond à une véritable démission. Comme ils n’étaient pas là où ils devaient être, ils ont passé toute la nuit sans rien prendre. C’est une règle absolue : quand on n’est pas là où le Seigneur nous veut, il ne peut y avoir aucune fécondité dans nos vies ! Mais Jésus, en leur offrant une pêche miraculeuse, leur donne un signe fort qui leur montre qu’il ne leur en veut pas, qu’il comprend qu’ils puissent être déboussolés par tout ce qui vient de se passer.

Il a commencé à manifester sa miséricorde, il va continuer. C’est donc le moment favorable pour lui de prendre Pierre entre quatre « zyeux ». Mais ça ne sera pas pour ouvrir le dossier et brandir, pièce à conviction après pièce à conviction, ce qui devrait condamner Pierre, sinon à son éviction du groupe apostolique, au moins à sa rétrogradation, il redeviendra comme les autres puisqu’il n’a pas tenu sa parole d’être différent des autres. Voilà ce qu’aurait dû être la logique de ce tête-à-tête entre quatre « zyeux ». Mais il n’en a pas été ainsi. Les quatre « zyeux » se sont rencontrés : deux qui pleuraient misère, ceux de Pierre, et deux qui débordaient de miséricorde, ceux de Jésus. Jésus ne reprend pas une à une les défaillances de Pierre, lui demandant des explications. Il ne lui demande pas de jurer qu’il ne recommencera plus. Il lui demande une seule chose, la seule qui compte vraiment pour lui : Pierre m’aimes-tu ?

Et vous savez qu’en grec, c’est très beau car le verbe que Jésus utilise évoque la plus haute forme de l’amour. C’est un peu comme si Jésus disait : Pierre, est-ce que tu m’aimes au point de donner ta vie pour moi ? C’est sans doute un test pour voir si Pierre fanfaronne encore. Mais Pierre ne fanfaronne plus, il répond en utilisant un verbe moins fort, je t’aime, Seigneur, mais je t’aime d’amitié, je n’ose plus prétendre que je suis capable d’amour oblatif, d’un amour qui va jusqu’au bout. Jésus a dû être touché par la vérité et l’humilité de la réponse de Pierre. Il le teste une 2° fois avec la même question et Pierre apporte la même réponse humble et vraie.

Alors Jésus accepte, dans sa 3° question de se mettre à son niveau : Pierre, je veux être sûr que tu m’aimes vraiment d’amitié. Pierre lui dit : ça tu peux en être sûr. Alors Jésus le confirme dans sa mission.

Quelle belle page d’Évangile qui nous invite à ne jamais fuir le regard de Jésus quand il veut nous prendre entre quatre « zyeux ». Si nos yeux pleurent la misère de nos péchés, de nos trahisons, ses yeux à lui, déborderont toujours de miséricorde. Jamais il ne nous fera promettre ce que nous ne pourrons pas tenir, mais toujours, il nous posera la même question : m’aimes-tu ? Quand nous comparaitrons devant lui, il n’ouvrira pas le dossier lourd de nos médiocrités, mais il nous posera encore cette même question : m’aimes-tu ?

C’est ce que le Cardinal Ré a rappelé dans son homélie aux funérailles du pape François. En cette semaine où les cardinaux vont entrer en conclave pour élire son successeur, prions pour qu’ils trouvent celui, parmi eux, qui saura le mieux regarder les hommes avec le regard de Jésus, celui qui saura les prendre entre quatre « zyeux » pour leur poser la seule question qui compte vraiment : m’aimes-tu ? Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, prions pour qu’ils soient dociles aux motions du Saint-Esprit.