5 mai : 6° dimanche de Pâques
Oh comme j’aime cette magnifique parole de Jésus dans l’Evangile : Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Quand Jésus nous parle, ce n’est jamais pour nous causer des problèmes, jamais ! Même quand il prononce des paroles un peu dures, ce n’est jamais pour nous mettre dans l’embarras, ce n’est jamais pour nous empêcher de vivre. Non, bien au contraire, c’est toujours pour que sa joie soit en nous, et que notre joie soit parfaite que Jésus nous parle. Et si, parfois, ses paroles sont dures, c’est qu’il veut redresser, en nous, ce qui est tordu car on ne peut pas être heureux, être dans la joie, quand on vit de manière tordue. C’est précisément parce qu’il nous aime qu’il ne veut pas que nous allions à notre perte.
Dans la formulation de Jésus, il y a un mot qui m’a fait dresser l’oreille, c’est celui qui qualifie la joie qu’il veut répandre en nos cœurs, il veut que ce soit une joie PARFAITE. Ce mot m’a fait dresser l’oreille parce que j’ai immédiatement pensé à un texte de St François d’Assise qui justement parle de la joie parfaite, définit la joie parfaite. François marche avec son fidèle compagnon, frère Léon, c’est l’hiver, le froid est mordant, et, en cours de route, François interroge frère Léon, il lui dit : sais-tu, frère Léon ce qu’est la joie parfaite ? Avant même que frère Léon n’ait le temps de répondre, François dit : Même si tous les frères de notre congrégation donnaient en tout pays un grand exemple de sainteté et de bonne édification, écris et note avec soin que là n’est pas point la joie parfaite. Et pour que ce soit bien clair, il rajoute : même si tous les frères arrivaient à faire voir les aveugles, redressaient les contrefaits, chassaient les démons, rendaient l’ouïe aux sourds, la marche aux boiteux, la parole aux muets et, ce qui est un plus grand miracle, ressuscitaient des morts de quatre jours, écris que cela n’est point la joie parfaite.
Je ne vais pas vous lire tout le texte, mais François continue d’aligner d’autres situations, toutes plus merveilleuses les unes que les autres, mettant à l’honneur des frères de sa congrégation. Pourquoi François dit-il que, dans ces succès, la joie ne peut pas être parfaite ? Tout simplement parce que François a connu cette joie du succès. En effet, sa congrégation est sans doute l’une qui a connu le développement le plus rapide, qui a été le plus admirée, à qui l’on a très vite fait confiance pour de grandes missions. Cette joie légitime due au succès, François l’a connue et il a vu qu’elle ne durait pas. En pleine croissance de sa congrégation, il a traversé une épreuve extrêmement douloureuse, comme une profonde dépression spirituelle. Ce qui lui a permis de comprendre que la joie liée au succès était un cadeau bien enveloppé qu’offrait le diable, le paquet est beau, attirant mais l’intérieur est poison. Parce que le succès risque de devenir une drogue dont on ne peut plus se passer et qu’on va chercher à garder et même à augmenter par tous les moyens, et, tant pis, si certaines fois, il faut vivre « border line » comme on dit aujourd’hui. Quand François l’aura compris, il y renoncera définitivement.
Chemin faisant, avec frère Léon, il va donc continuer à le faire réfléchir. Quand tous les faux motifs de joie liés au succès sont éliminés, frère Léon, n’y tenant plus demande à François de lui révéler le secret de la vraie joie. Je vais vous lire ce que François répond, mais accrochez-vous, parce que ça décoiffe ! Enfin, moi, je ne risque pas grand-chose à ce niveau-là ! « Quand nous arriverons à Sainte-Marie-des-Anges, ainsi trempés par la pluie et glacés par le froid, souillés de boue et tourmentés par la faim, et que nous frapperons à la porte du couvent, et que le portier viendra en colère et dira : « Qui êtes-vous ? » et que nous lui répondrons : « Nous sommes deux de vos frères », et qu’il dira : « Vous ne dites pas vrai, vous êtes deux bandits qui allez trompant le monde et volant les aumônes des pauvres ; allez-vous en » ; et quand il ne nous ouvrira pas et qu’il nous fera rester dehors dans la neige et la pluie, avec le froid et la faim, jusqu’à la nuit, alors si nous supportons avec patience, sans trouble et sans murmurer contre lui, tant d’injures et tant de cruauté et tant de rebuffades, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite ! »
Je pourrais continuer la citation parce que François en rajoute pour décrire encore d’autres humiliations, brimades qui pourront renforcer cette joie pour qu’elle devienne une joie parfaite. Quand on entend ça, on a envie de dire : très peu pour moi, je n’en veux pas et on finit même par se demander si François ne serait pas maso pour tenir un tel discours.
Non, François n’est pas maso parce que vous avez repéré que François ne dit pas que ce qui motive une joie parfaite c’est d’être rejeté, humilié, de subir les pires conditions. Non ! Il dit : si nous supportons avec patience, sans trouble et sans murmurer, c’est cela qui nous établira dans une joie parfaite. Je vous l’avoue, j’ai été long à comprendre ce que François voulait dire. La joie parfaite, bien sûr, elle m’attirait, mais la description qu’en faisait François me repoussait plutôt. Et puis, un jour, l’Esprit-Saint m’a donné de comprendre, je ne sais plus comment, peut-être par une lecture, je ne sais plus et peu importe. Ce qui m’a aidé à comprendre, c’est une parole un peu semblable de Jésus. Un jour les apôtres reviennent de mission, une mission dans laquelle tout leur a réussi, ils ont vécu un grand succès et ils racontent tout ça à Jésus avec un grand enthousiasme. Et Jésus semble doucher leur joie en leur disant : Réjouissez-vous plutôt parce que vos noms sont inscrits dans les cieux. Lc 10,20. C’est-à-dire que Jésus leur dit : si vous ne pouvez être dans la joie que lorsque tout vous réussit, vous allez connaitre de longues périodes de tristesse parce que tout ne nous réussit pas tous les jours.
C’est exactement ce qu’a expérimenté, et de manière très douloureuse, St François qui a compris que le motif de la joie ne pouvait pas être le succès ; comme je l’ai dit, c’était bien trop piégé. François a compris qu’il devait compter sur quelque chose de bien plus fondamental pour être dans la joie, qu’il fallait compter sur un motif bien plus durable et sans ambigüité pour connaître la vraie joie, celle qu’il nomme, à la suite de Jésus, la joie parfaite.
Et c’est là que je retrouve l’Evangile de ce jour dans lequel Jésus nous dit que ce qui va nous établir dans la joie parfaite, ce n’est pas de connaître le succès, ce n’est pas d’avoir une vie sans difficulté, ce qui n’existe pas ! Ce qui va nous établir dans la joie parfaite, c’est de savoir que nous sommes aimés. Et dire cela, c’est encore trop faible, car Jésus nous assure qu’il nous aime du même amour que le Père l’aime. Est-ce que vous avez bien entendu ? Est-ce que vous arrivez à réaliser ce que ça veut dire ? Jésus nous aime du même amour qu’il est aimé par le Père ; l’intensité de son amour pour nous, c’est l’intensité, la grandeur de l’amour avec lequel le Père l’aime. Trop, trop fort !
Quand, un jour, on a fait l’expérience de cet amour, et quand on est habité par cette certitude de foi que, jamais, le Seigneur ne nous reprendra cet amour, alors, quelles que soient les circonstances de la vie, nous pouvons être établis dans la vraie joie, la joie parfaite. Oh, ça ne sera pas une joie exubérante tous les jours, mais une joie et une paix profondes qu’aucune contrariété ne pourra anéantir. C’est ce qu’a voulu expliquer François à frère Léon, ce que j’ai entendu aussi de la bouche de Jésus, lui-même, dans l’Evangile d’aujourd’hui.
Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons, dans cette Eucharistie, de pouvoir goûter à cet amour si puissant du Seigneur pour nous afin que nous ne nous attachions jamais à la joie qui vient du succès, de la réussite en quelque domaine que ce soit. Oui, Notre Dame de Laghet, par ton intercession, que chacun de tes enfants, venus te prier dans ce sanctuaire, soit établi dans la vraie joie.