7 juillet : 14° dimanche du temps ordinaire.

Par Père Roger Hébert

Peut-être vous rappelez-vous qu’à l’école on nous donnait parfois un texte à étudier, texte pour lequel il fallait, entre autres choses, trouver un titre qui serait comme un résumé. Si on me demandait de faire cet exercice avec l’Evangile d’aujourd’hui, le titre que je donnerais, c’est le suivant : quand le Fils du Dieu Tout-Puissant est réduit à l’impuissance. Et le drame, c’est que cette mise en échec va avoir lieu à Nazareth, dans sa patrie. C’est bien ce que nous disait l’Evangile : et là il ne pouvait accomplir aucun miracle. Mais quelle est donc cette puissance du Tout-puissant pour qu’il puisse être réduit à l’impuissance ? Qu’est-ce qui provoque cette mise en échec ? Comment réagit le Tout-puissant quand sa toute-puissance est mise en échec ? C’est à ces trois questions que je voudrais répondre dans le développement de mon homélie.

1/ Quelle est donc la puissance du Tout-Puissant pour qu’il puisse être réduit à l’impuissance ? Cette question est bien plus importante qu’il n’y parait puisque, à un moment ou à un autre de leur vie, bien des personnes y sont confrontées. Je peux même dire que nous y avons tous, un jour, été confrontés. C’est la douloureuse question du mal face auquel nos prières non-exaucées nous font poser tant de questions. Si Dieu est tout-puissant, pourquoi n’arrête-t-il pas les guerres, pourquoi n’empêche-t-il pas la haine et l’égoïsme de se répandre et de faire tant de victimes ? La question du mal restera toujours un scandale face auquel nous buttons, mais pour essayer de comprendre, au moins en partie, il est essentiel de préciser justement ce qu’est la toute-puissance de Dieu. Et il est d’autant plus important de le faire que bien des prières dans la liturgie invoquent Dieu en rappelant qu’il est tout-puissant.

Vous avez peut-être remarqué que, lorsqu’une prière nous tourne vers Dieu en l’invoquant comme le tout-puissant, moi, je rajoute toujours, et je ne suis pas le seul à le faire qu’il est tout-puissant d’amour. De fait, Dieu est tout-puissant, mais c’est en amour qu’il est tout-puissant. Sa toute-puissance est une toute-puissance d’amour. Comme il est important de le garder bien présent à l’esprit ! Ça signifie que, si nous lui demandons de nous donner plus d’amour pour que nous devenions semeurs d’amour dans nos familles, nos communautés, nos lieux de travail, nos différents lieux de vie, ça il pourra toujours nous le donner.

Nous le savons les Ecritures présentent Dieu comme étant riche en miséricorde et la miséricorde, c’est précisément un amour sans limite. Alors, c’est très beau parce qu’en hébreu, riche en miséricorde, ça se dit : « rab-hesed, » ; « hesed » c’est la miséricorde et, de la miséricorde, il en a en rab, quelle joie de le savoir. A la cantine, quand on dit aux enfants qu’il y a du rab de frites, ils sont très très heureux ! Eh bien, Dieu c’est de l’amour miséricordieux qu’il a toujours en rab et qu’il est donc toujours prêt à distribuer. Si nous ne voulons jamais être déçus par des prières non-exaucées, c’est donc du rab d’amour qu’il faut lui demander. Voilà quelle est la toute-puissance de notre Dieu. Et reconnaissez que c’est bon d’en reprendre conscience car de l’amour en rab, nous allons en avoir besoin, pour nous-mêmes de manière permanente. Mais nous allons aussi devoir en distribuer autour de nous pour reprendre le chemin du vivre-ensemble et retricoter des relations mises à mal au cours de ce temps d’élection qui aura profondément divisé notre société.

2/ Venons-en à la 2° question : Qu’est-ce qui a provoqué cette mise en échec de la toute-puissance du tout-puissant ? Le texte d’Evangile donne la réponse à cette question : Jésus s’étonna de leur manque de foi. C’est donc le manque de foi qui réduit à l’impuissance la toute-puissance du Tout-Puissant. Et, quand on lit le texte, on voit très bien que ce qui va empêcher les compatriotes de Jésus d’entrer dans la foi, c’est tout ce qu’ils savent sur Jésus. N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? Au cours des 30 années que Jésus a passées à Nazareth, ils ont eu le temps de se faire une idée sur lui, c’était, sans doute, un homme très agréable mais qui n’avait rien d’exceptionnel. Alors, dans ces conditions, comment peut-il dire tout ce qu’il dit et faire tout ce qu’il fait ? A aucun moment, ils ne remettent en question ce qu’ils savent en se disant : on n’avait sans doute pas tout compris, non, eux, ils ne peuvent pas se tromper, c’est Jésus qui les trompe.

Quel drame ! Nous devrons donc rester vigilants car le savoir, mal ajusté, le savoir orgueilleux, peut empêcher la foi. Il en va ainsi pour tant de gens qui, comme ils le disent « ont des convictions » ou alors se sont bricolé une foi à leur mesure. A terme, ce savoir va devenir enfermant et empêchera la foi, empêchera d’entrer dans une vraie relation de confiance avec Jésus. St Ignace de Loyola le disait très bien : ce qui rassasie l’âme ce n’est pas d’en savoir toujours plus, mais de sentir et de goûter intérieurement, autrement dit, c’est d’entrer dans une vraie relation d’amour avec le Seigneur. Mais ce qui est vrai avec le Seigneur, l’est aussi pour nos relations avec les autres. Nous enfermons souvent les personnes dans ce que nous savons d’elles et, ainsi, nous nous empêchons d’entrer dans une vraie relation avec elles. En tout cas, avec le Seigneur, c’est vite dramatique puisque ce savoir mal ajusté et orgueilleux bloque la toute-puissance d’amour du Tout-Puissant.

3/ Enfin, 3° question : Comment réagit le Tout-puissant quand sa toute-puissance est mise en échec ? Nous, souvent, quand des personnes nous bloquent, nous réagissons mal, nous leur en voulons, nous ressassons cet échec et, quand ça se reproduit trop souvent, nous finissons par nous décourager. Jésus, lui, il prend acte qu’avec ses compatriotes, ça ne sera pas possible eh bien, qu’à cela ne tienne, il va ailleurs ! Mais avant de partir, il fait quand même ce qu’il peut faire car tous les habitants de Nazareth ne sont pas obtus, le texte le dit : il guérit seulement quelques malades 

en leur imposant les mains. Comme c’est important, là encore de ne jamais faire de généralisations, de ne jamais mettre tout le monde dans le même sac comme on dit ! C’est bien la ligne de conduite de Jésus et ensuite, ayant accompli le peu qu’il pouvait faire, il va ailleurs : alors, Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.Du coup, vous comprenez que la parole que Jésus prononce est pleine d’espérance, il dit : Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. Je dis qu’elle est pleine d’espérance parce qu’elle nous invite à identifier clairement là où notre témoignage ne sera pas reçu et ensuite, à aller ailleurs, parce que, partout ailleurs, ça sera possible ! Et, là, où nous, nous ne pouvons pas faire grand-chose, notamment dans nos familles, prions pour que le Seigneur envoie des témoins dont le témoignage pourra être reçu parce que, eux, ils ne sont pas de la famille !

Par l’intercession de Notre Dame de Laghet demandons cette grâce de croire que Dieu a de l’amour miséricordieux en rab et que c’est là que se situe sa toute-puissance. Demandons-lui aussi la grâce, dans nos relations avec le Seigneur et avec les autres, de ne jamais nous enfermer dans un savoir mal ajusté et orgueilleux. Demandons-lui enfin la grâce de ne pas nous entêter devant des situations impossibles et de trouver la force d’aller ailleurs, là où notre témoignage pourra être reçu.