9 juin : 10° dimanche ordinaire et Messe d’action de grâce pour les 40 ans d’ordination sacerdotale du Père Roger
Pour moi, l’une des plus grandes difficultés à laquelle nous nous se heurtons lorsque nous lisons les Ecritures, c’est que nous avons le texte des paroles prononcées, mais nous n’avons pas l’intonation avec laquelle ces paroles ont été prononcées. Or l’intonation peut complètement changer le sens du texte. Par exemple dans la 1° lecture, nous avons entendu la parole que Dieu prononce juste après le premier péché, je la prononce avec un ton neutre, Dieu dit : où es-tu ? Maintenant, il y aurait deux manières de la prononcer en y mettant une intonation particulière, je vous les fais toutes les deux :
- Où es-tu ? (énoncer avec une voix en colère !)
- Où es-tu ? (énoncer avec une voix inquiète !)
Vous sentez bien que ce n’est pas du tout la même chose ; l’intonation va induire une compréhension très différente de la même parole.
- Dans la 1° intonation, nous avons entendu un Dieu mis en colère par la désobéissance de l’homme et de la femme, donc prêt à punir. Hélas, bien des gens ont encore cette conception de Dieu, d’un Dieu qui nous surveille pour mieux nous prendre la main dans le sac et nous faire payer nos incartades.
- Dans la 2° intonation, nous avons entendu l’inquiétude de Dieu qui a bien compris que l’homme et la femme avaient fait une bêtise et que, à cause de cette bêtise, comme l’homme et la femme ne le connaissaient encore pas vraiment, ils ne voulaient plus se présenter devant Lui, ayant trop peur de sa réaction. Cette intonation ne nous présente plus un Dieu « sur-veillant », mais un Dieu « veillant sur », partant à la recherche de ses enfants bien-aimés qui se sont perdus dans le péché et qu’il veut retrouver avant qu’ils ne se perdent définitivement.
Vous aurez bien compris qu’entre les deux intonations mon cœur ne balance pas du tout ! Mon choix est vite fait, c’est la 2° que je choisis et je vais être un peu prétentieux en disant que je suis sûr que c’est la bonne ! Ceux qui prononcent la parole « où es-tu ? » avec la 2° intonation ont écouté le souffleur qu’est l’Esprit-Saint et ils ont répété ce qu’il leur a soufflé. Ceux qui prononcent le « où es-tu ? » avec la 1° intonation n’ont pas vu que le diable avait pris la place du souffleur professionnel qu’est l’Esprit-Saint et ils sont prononcé la parole en répétant l’intonation que cet usurpateur cherche à graver dans nos oreilles et dans nos cœurs pour mieux nous enfermer dans la honte, la peur et finalement nous détourner de Dieu.
Peut-être vous demandez-vous pourquoi je peux être si sûr que la 2° intonation est la bonne ? Il y a deux raisons fondamentales.
– La 1° raison, c’est que la suite du texte me donne raison. Ce n’est pas l’homme et la femme qui seront punis, mais le serpent. Parce que tu as fait cela, tu seras maudit parmi tous les animaux et toutes les bêtes des champs dit Dieu et il annonce déjà sa défaite. Vous pourriez m’objecter que le texte de la Genèse a été coupé et qu’on n’a pas entendu la sanction que Dieu prononce à l’égard des hommes : le travail à la sueur du front, l’accouchement dans les douleurs et d’autres réjouissances du même type ! Mais non ! Contrairement aux apparences, ce n’est pas une sanction, mais ce sont les conséquences du péché. Car Dieu qui peut tout pardonner ne peut pas effacer les conséquences du péché. Si je vous blesse en vous tailladant la joue, je peux être pardonné, mais la blessure restera visible par une cicatrice. Le pardon n’empêche pas que le péché puisse avoir des conséquences douloureuses. Donc Dieu ne punit pas et si Dieu est encolère à cause du péché, ce n’est pas contre l’homme et la femme que se dirige sa colère, mais contre le serpent, Satan qui conduit au péché, qui gâche en permanence le bonheur que Dieu offre aux hommes.
– La 2° raison, c’est que, si j’ai pu être capable de donner ma vie au Seigneur, c’est justement parce que j’ai découvert la puissance de sa miséricorde. Cert argument, il m’est servi sur un plateau en ce jour où je fête mes 40 ans de sacerdoce. Il faudrait être fou ou maladivement sadique pour donner sa vie et servir un Dieu qui surveille et punit le moindre écart !
J’aime bien raconter que lorsque j’étais petit, je voulais être Père Noël et, quand j’ai compris qu’il n’y aurait pas beaucoup de débouchés, j’ai voulu être prêtre ! Pour moi, enfant, le père Noël apportait du bonheur, alors, quand j’ai compris qu’il fallait choisir une orientation plus sérieuse, spontanément, je me suis dit, ou plutôt l’Esprit-Saint m’a permis de comprendre, qu’il n’y avait qu’en étant prêtre que je pourrais apporter du bonheur à tout le monde. Et le vrai Bonheur que le prêtre apporte, c’est justement la miséricorde : cette formidable expérience de la proximité, de l’amour de Dieu qui nous rejoint et nous relève quand nous ne sommes plus aimables, quand nous sommes perdus et qu’il n’y a peut-être plus que Lui qui croit encore nous.
Vous savez que je suis originaire du diocèse du Curé d’Ars. Jean-Marie Vianney est né en 1786, 3 ans après, ça sera la Révolution française, qui marquera l’entrée dans une période si troublée pour l’Eglise et particulièrement pour les prêtres. Ceux qui avaient refusé de jurer fidélité à l’idéal révolutionnaire étaient interdits de ministère et si l’un d’entre eux était pris en situation de désobéissance, il passait à la guillotine ou partait au bagne. L’un de ces prêtres extrêmement courageux risquera sa vie pour que le petit Jean-Marie puisse recevoir le sacrement du pardon et, un peu plus tard, faire sa 1° communion. C’est ainsi qu’il découvrira le trésor que représentent ces sacrements, il réalisera qu’un prêtre a risqué sa vie pour les lui donner, c’est dire s’ils étaient précieux. Je ne prétends pas avoir fait la même expérience, mais, alors que j’étais lycéen, avec les amis de l’époque, nous sommes allés faire une récollection dans un carmel et, le prêtre qui aura tant compté dans mon cheminement, nous avait commenté la parabole du père et des deux fils, ce fut un éblouissement pour moi. Je commençais à mieux comprendre le trésor de la miséricorde et, je crois que c’est là que j’ai dit un vrai oui au Seigneur : je voulais, mieux que le Père Noël, apporter cet immense bonheur à tous ceux qu’ils mettraient sur ma route.
Tout ce que je vous dis là, peut-être que vous le trouvez beau, mais vous vous dites aussi, après avoir entendu l’Evangile : si Dieu était vraiment miséricorde infinie, pourquoi y a-t-il quand même une limite à sa miséricorde, un péché impardonnable ? D’accord, il n’y en a qu’un mais c’est quand même flippant de savoir qu’il y en a un parce qu’on a peur de le faire un jour ! C’est d’autant plus flippant, que Jésus reste assez flou quand il en parle ! Qu’est-ce que recouvre ce blasphème contre l’Esprit ? Oh c’est assez simple, ce n’est pas un péché particulier, mais c’est précisément le fait de refuser de croire que Dieu peut tout pardonner. Ce blasphème contre l’Esprit, il est accompli par ceux qui refusent délibérément de croire que Dieu veut et peut tout pardonner. Dieu ne met donc aucune limite à sa miséricorde, il n’y a que nous qui mouvons en mettre. Et Dieu se retrouve bien impuissant et plongé dans une grande souffrance quand il se retrouve en face de ceux qui tournent le dos à sa miséricorde parce qu’ils refusent de croire qu’elle est aussi pour eux !
Après 40 ans, en ayant donné ma vie pour donner, le plus généreusement possible, l’amour du Seigneur, j’ai vraiment conscience que ma vie a été bien plus remplie, bien plus belle que celle du Père Noël. Je bénis le Seigneur de m’avoir appelé à le servir et à servir ses enfants bien-aimés dans ce sanctuaire où, chaque jour, la miséricorde coule à flots. Notre Dame de Laghet, je me confie à toi pour que tu me gardes fidèle. Notre Dame de Laghet, je confie à ton intercession tous ceux qui se sont confiés, un jour ou l’autre, à mon ministère, protège les grâces qu’ils ont pu recevoir puisque, dans sa bonté, le Seigneur accepté de passer à travers ma pauvreté. Notre Dame de Laghet, je te confie encore tous ceux que je n’ai pas su accueillir, tous ceux que j’ai pu blesser, d’une manière ou d’une autre, pour que l’amour du Seigneur puisse quand même les rejoindre et les restaurer. Notre Dame de Laghet, je te confie ce sanctuaire pour que le Seigneur puisse continuer à y déverser toutes les grâces que tu ne cesses de demander pour tous les pèlerins qui viennent, ici, chaque jour. Avec la communauté des sœurs, garde-nous fidèles dans le service qui nous est confié.