L’Ex-Voto de Geoffroy MENARDO
de génération en génération…
Alors que résonnent encore les derniers coups de marteau du démontage du colossal échafaudage de Notre-Dame de Paris (1), un exosquelette de 500 tonnes d’acier, constitué de 500 000 tubes, installés en apesanteur… chacun se souvient de l’incendie du 15 au 16 avril 2019 et de la meurtrissure que les flammes infligeaient ce soir-là à l’auguste chapelle témoin de l’histoire de France depuis le XIIè siècle, haut lieu de la foi dédié à la Vierge Marie. La « renaissance de Notre-Dame », fut un exploit de l’avis de tous, une réussite architecturale, une prouesse. Tout d’abord de la part des courageux sapeurs-pompiers entrés dans l’édifice en proie aux fumées mortifères des poussières de plomb, puis de l’Etat, du Diocèse de Paris, des architectes, des historiens de l’art, des agents de la Conservation, des spécialistes de la pierre du ciment et du verre, des maçons, des sculpteurs, des polisseurs, des archéologues…toute une cohorte de métiers qui révélèrent à cette occasion un savoir-faire millénaire.
Nous voudrions rendre hommage à la Vierge Marie, notre Mère, et à la renaissance de Notre-Dame de Paris avec ce bel ex-voto déposé à Laghet il y a un siècle par Geoffroy MENARDO. Voici l’histoire de la redécouverte d’un ex-voto d’accident de chantier parmi la trentaine présents au sanctuaire de Laghet. Une histoire passionnante qui en dit long sur les risques de ce métier et du courage de ces bâtisseurs anonymes qui mettent leur vie en danger lors de la construction ou la restauration d’un bâtiment. Tel fut le cas de cet honorable maçon, qui adressa son ex-voto en ces termes à la Vierge Marie pour avoir eu la vie sauve lors de la chute d’un échafaudage :
« En remerciements A Notre-Dame de Laghet, 17-12-26, Menardo Geoffroy »
Comme il arrive de temps à autre depuis 20 ans nous avons été interrogés par Sylvie P., une amie de longue date, à propos d’un ex-voto déposé par son aïeul, dans les années 30 suite à « une chute sur un chantier » et pour lequel il avait conservé une reconnaissance infinie à la Vierge de Laghet qui selon ses dires « lui avait permis de garder la vie sauve ». Cette histoire est restée dans la famille de génération en génération et en particulier pour Sylvie P. qui a connu Lucia l’épouse de son arrière-grand-père paternel. Vérification faite sur notre base de données (2) c’est sans difficulté que nous retrouvons l’ex-voto déposé en 1927 par Geoffroy MENARDO.
Aussitôt nous communiquons l’information à notre interlocutrice en précisant que, non seulement l’ex-voto de son aïeul est toujours présent aux cimaises du cloitre, mais qu’au vu de sa qualité graphique et contemporaine, il a figuré en bonne place (3) avec deux autres ex-voto de Laghet lors de l’exposition du 9 novembre 2018 au 11 mars 2019 à Paris, organisée par la Cité de l’Architecture et du Patrimoine intitulée « L’Art du chantier. Construire et démolir du 16è au 21è siècle » (4). Des images présentées durant 5 mois au public parisien et aux nombreux touristes étrangers, en mémoire d’ouvriers qui ont survécu à un accident de chantier » ; certains durant le creusement d’un tunnel, d’autres illustrant les prouesses des bâtisseurs acrobates des buildings de New-York et, à la même époque, l’ex-voto de Geoffroy MENARDO tombé d’un échafaudage sur le chantier d’une maison dans le centre-ville de Nice en décembre 1926.
Sous la conduite de Sylvie P. les descendants de sa famille se mobilisent et réunissent en peu de temps leurs souvenirs pour nous permettre de rédiger cet article et reconstituer le parcours de l’aïeul… Geoffroy MENARDO est né le 24 juin 1893 à San Pietro Monterosso Province de Coni la capitale verte du Piémont en Italie. Baptisé en l’église San Pietro, Saint Pierre aux Liens dont voici la photo, il émigra à Nice à l’âge de 16 ans à la suite de gens de sa région avec en mémoire l’histoire des célèbres caves de lauzes de Monterosso Grana, sur les terres du Marquis de Saluzzo, où on dit que « Peire que preiquen » (5). A Nice il apprit les « gestes du métier » avec des aînés, chacun sait que les Italiens sont réputés pour leur savoir-faire depuis… l’Epoque Romaine. Désireux de fonder une famille, il épousa Lucia VIANO (1896-1973) sa chère fiancée originaire elle aussi de Monterosso. Le couple accueillit 3 enfants, Anna née en 1920, Catherine née en 1922 et la plus jeune, Joséphine née en 1929, soit 3 ans après le terrible accident de chantier du père de famille. Le couple résida un temps dans le Vieux-Nice, 7 rue du Jesus où Lucia donna naissance à ses deux aînées à domicile comme cela se pratiquait à l’époque, puis rue Bavastro et Quartier St Roch, menant un train de vie relativement aisé. Si Lucia fut fleuriste au début de son mariage elle resta dans la condition de mère au foyer après l’arrivée des enfants, alors que Geoffroy exerçait le métier qu’il aimait celui de « maçon-cimentier » comme cela est précisé sur son acte de naturalisation daté du 1er janvier 1932. Le cimentier a une spécialité dans le bâtiment, celle des enduits et crépis de toutes sortes et, c’est lors d‘un travail de restauration sur la façade d’une maison individuelle au coeur de Nice, que le malheureux Geoffroy chuta d’un échafaudage à l’âge de 33 ans. Grièvement blessé il eut toutefois la « grâce de la vie sauve » ce dont il fut toujours reconnaissant envers la Vierge de Laghet où la famille venait souvent en pèlerinage comme nombre de Piémontais dont Guillaume Apollinaire nous a laissé une description très « colorée » (6). D’après la famille de Geoffroy il semble que l’homme garda des séquelles physiques de cette chute. Il put toutefois contribuer au maintien de sa famille qui s’agrandit comme on l’a vu avec la naissance d’un troisième enfant 3 ans après son accident. Malheureusement Lucia se retrouva veuve, Geoffroy étant décédé dans les Services de l’hôpital Pasteur le 22 juin 1945, quelques jours seulement avant son 52e anniversaire…
Si l’enquête familiale n’a pas apporté de renseignements précis quant aux causes de l’accident, on apprend par les archives météo que l’hiver fut très rigoureuxcette année là où la neige tomba sur Nice le 21 décembre 1926. Mais on peut comprendre ce qui a pu se passer en observant l’ex-voto, un dessin réalisé sur papier vélin à la pierre noire rehaussé à la sanguine et craie blanche (7), signé en bas à droite, LOUIS , Nice, 5 mai 1927. Une image pieuse de N-D de Laghet et l’Enfant surmonte la scène de l’accident ainsi que la photo d’identité de Geoffroy. Tout indique que le maçon était en train d’effectuer untravail de crépissage au ciment sur la façade ; un travail de précision à la truelle qui fut projetée dans le vide en même temps que lui. M. Menardo a dû monter à l’étage et accéder avec son matériel (seau d’eau, sac de ciment, auge et outils) jusqu’à la plate-forme en passant par les portes-fenêtres du deuxième étage. Notons au passage la précarité de l’installation. L’échafaudage, (8) une simple planche de bois retenue par deux poutrelles, appelées boulins, est scellée dans le mur et suspendue à la hauteur du deuxième étage de la maison sans aucun soutien vertical ni protection. Ce qui valut à M. Menardo une chute arrière dans le vide… Cette scène paraît inimaginable de nos jours où les normes de sécurité sont devenues drastiques, où les ouvriers et les passants sont protégés avec des filets anti-chute, des barrières de sécurité et une signalisation adaptée. Et … pourtant les statistiques du Bâtiment indiquent que la moitié des accidents de chantier aujourd’hui sont des chutes de hauteur avec des causes diverses : la météo, le vent, la qualité des sols, les vibrations du bâtiment.
Au-delà de la redécouverte de ce bel ex-voto déposé en 1927, les descendants de Geoffroy MENARDO nous ont laissé entendre que le souvenir le plus cher à leur mémoire c’est le courage et le mérite de leur aïeul et de son épouse, tous deux soutenus par la foi. Geoffroy apparait donc ici comme un bâtisseur à double titre, tout d’abord pour la noblesse de ce métier auquel il aimait ajouter la spécialité de « cimentier » qui lui tenait à coeur, comme ces bâtisseurs à qui nous devons nos maisons, nos écoles, nos commerces, nos hôpitaux… Bâtisseur dans la foi de par sa confiance envers Notre-Dame de Laghet. Un témoignage qui dure, de génération en génération, et que ses descendants nous transmettent aujourd’hui non sans émotion (sur la photo au-dessus à droite : SYLVIE P. l’arrière-petite-fille de Geoffroy Menardo lors de la visite récente en famille à Laghet sur les pas de l’aïeul). A l’heure d’une douloureuse perte de repères inhérente aux difficultés de transmission de la foi, rendons grâce tous ensemble pour le bel ex-voto déposé par Geoffroy MENARDO et pour tous ces témoignages accrochés dans le cloitre, au Musée ou dans la Crypte qui éclairent à leur manière le passage de la Première Lettre de Saint Pierre Apôtre 2, 4-5 (9) :
« Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ ».
Commentaire : Patrizia Colletta, « Médiation, Art & Foi »
Notes : (1) Portraits, « Franck Pagnussat, l’échafaudeur qui tutoyait le sommet de Notre-Dame », notre-dame-de-paris-culture.gouv.fr ; (2) P. et G. Colletta, « Les Ex-Voto de Notre Dame de Laghet, Un mémorial entre Ciel et terre », Serre Editeur, 2021 à la LIBRAIRIE du Sanctuaire ; (3) Selon les règles de la Conservation du petit Patrimoine religieux aucun ex-voto n’est autorisé à quitter le sanctuaire, prêt sous forme de fac-similé ; (4) L’Art du chantier, Construire et démolir du 16è au 21è siècle, Galerie haute des expositions temporaires, Commissaire, Valérie Nègre, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; (5) Dans la Province de Coni existe une minorité linguistique occitane, une langue romane parlée dans le tiers sud de la France, les Vallées Occitanes et alpines du Piémont, la Ligurie, à Monaco et en Espagne. La langue occitane intermédiaire entre l’italien et le français ; (6) Les pèlerins Piémontais, in l’Hérésiarque, conte de Guillaume Apollinaire à lire sur Nice Historique ; (7) L’ex-voto a été réalisé sur papier velin grand format 59 cm X 68,5 cm, selon la technique des « trois crayons » : pierre noire-sanguine-craie blanche des peintres de la Renaissance ; (8) En France, selon la règlementation, un échafaudage est un équipement de travail, composé d’éléments montés de manière temporaire en vue de constituer des postes de travail en hauteur permettant l’accès à ces postes ainsi que l’acheminement des produits et matériaux nécessaires à la réalisation des travaux. (Article 1 de l’Arrêté du 21/12/2004) ; (9) Nouveau Testament, Version AELF Association Episcopale Liturgique pour les pays francophones.