TEMOINS DE L’ESPERANCE…

 En cette Année jubilaire, alors que le Vatican s’apprête à accueillir des dizaines de millions de pèlerins dans la ville éternelle, les célébrations et les événements propres à enrichir la dimension spirituelle du pèlerinage à Rome affluent… Parmi les propositions, une visite guidée de la prison Mamertine dans le Forum romain, le terrible bagne où furent détenus, durant le règne de Néron, Saint Pierre et Saint Paul avant leur martyre respectif (1). Le premier crucifié la tête en bas dans le respect de la Crucifixion du Maître, le second décapité dans le quartier des Tre Fontane à Rome sur la Via Ostiense. Selon la Tradition la tombe de Saint Pierre est située sous le maître-autel de la Basilique vaticane ; les restes de Saint Paul non loin du lieu de son martyre, dans la Basilique romaine Saint-Paul-hors-les-murs, d’où le pape Jean XXIII annonça le 25 janvier 1959 la convocation d’un concile pour l’Eglise catholique, le futur Concile Vatican II.

La lecture du dépliant illustrant la visite du Carcere Mamertino, la prison où furent enfermés les deux disciples du Christ réveilla en nous un passage des Actes des Apôtres au temps de la première prédication apostolique à Jérusalem. Cet épisode, intitulé « La délivrance de Pierre », fit écho à son tour à un ex-voto du sanctuaire de Laghet montrant le moment de la libération de Pietro Dues, un prisonnier du bagne de Nice au XIXè siècle. Découvrons ce tableau votif (2) dont la dédicace à l’encre dit ceci :

 « Grazia ricevuta a Pietro Dues di Tenda »

Sur cette peinture à l’huile sur papier, qui a honorablement traversé le temps, on voit un gardien de prison en train d’ouvrir la grille de la cellule où un homme, en tenue de bagnard, est agenouillé en train de prier Notre-Dame de Laghet portée par une nuée lumineuse qui illumine la pièce. La composition montre un petit espace haut de plafond, aux murs épais en pierre de taille, une ouverture triangulaire inaccessible équipée de « barreaux contrariés » en métal très épais, une porte faite de tiges en fer forgé aux pointes acérées. Ces détails peints sur l’ex-voto révèlent les caractéristiques architecturales de l’ancien bagne de Nice appelé « Lou Barri Lonc », expression qui désignait le long mur d’enceinte qui entourait la galerie du rez-de-chaussée du bagne, reconverti en caserne vers 1887 puis, tout récemment, en Espace culturel, la Galerie Lympia, au 2, Quai d’Entrecasteaux (3).

La tenue même de Pietro Dues confirme qu’il figurait parmi les bagnards qui creusèrent à la pioche les bassins du port de Nice au moment de son extension. Comme on peut le voir sur la lithographie de Legall Dutrertre (1840 env.), le prisonnier porte la lourde veste de panne de velours marron et le bonnet caractéristique dont la couleur permettait aux gardiens de savoir s’il s’agissait d’un prisonnier de moyenne ou très longue peine. A l’époque où Pietro Dues y fut enfermé, les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles les prisonniers civils ou militaires étaient incarcérés, ne leur garantissaient pas une libération en bonne condition physique. Mal logés, entassés par groupes de 4 ou 6, dormant enchaînés sur des paillasses de foin posées sur des couches en ciment la nuit. Mal nourris, enchaînés deux par deux le jour, à creuser inlassablement la roche de la zone marécageuse du Lympia, sous un soleil de plomb durant l’été, dans le froid et la brise de mer le reste de l’année. Il est probable que seule la foi et l’Espérance de Pietro Dues lui permirent de résister à ses conditions de détention. Son agenouillement spontané aux pieds de Notre-Dame de Laghet, à l’annonce de sa délivrance, exprime la reconnaissance infinie de voir « miraculeusement » sa vie de forçat achevée et la grâce inouïe de retrouver sa famille, de revenir par la route du Col de Tende dans sa Provincia di Coni (4), revoir les cimes de l’Agnel à près de 2800 mètres d’altitude et ses magnifiques forêts de mélèzes, à respirer l’air pur du Mont Bégo dans la Vallée des Merveilles…

Nous ignorons tout des motifs de détention de Pietro Dues, comme du reste au sujet des 2 autres ex-voto de la collection de Laghet montrant des prisonniers. La discrétion reste de mise. Toutefois devant cette porte de prison qui s’ouvre soudain comment ne pas évoquer le récit de la « Délivrance de Pierre », le saint patron de Pietro Dues, emprisonné à plusieurs reprises par Hérode à Jérusalem, puis à Rome où il finit sa vie en saint martyr. Voici l’épisode relaté dans les Actes des Apôtres (12, 1-18) :

« A cette époque le roi Hérode entreprit de mettre à mal certains membres de l’Eglise. Il supprima par le glaive Jacques, le frère de Jean… il fit procéder à une nouvelle arrestation, celle de Pierre… L’ayant fait appréhender il le mit en prison et le confia à la garde de 4 escouades de 4 soldats, il se proposait de le citer devant le peuple après la fête de la Pâque. Pierre était donc en prison, mais la prière de l’Eglise montait sans relâche vers Dieu à son intention. Hérode allait le faire comparaître. Cette nuit là Pierre dormait entre deux soldats, maintenu par deux chaînes, et des gardes étaient en faction devant la porte. Mais tout à coup l’Ange du Seigneur surgit et le local fut inondé de lumière. L’ange réveilla Pierre en lui frappant le côté : « Lève-toi vite ! » lui dit-il » .Les chaînes se détachèrent des mains de Pierre. Et l’ange de poursuivre : « « Mets ta ceinture et lace tes sandales ! ». Ce qu’il fit. L’ange ajouta : « Passe ton manteau et suis-moi ! ». Pierre sortit à sa suite …. ». Ce n’est qu’une fois dehors et au bout de la rue que l’ange quitta Pierre qui reprit alors ses esprits : « Cette fois, dit-il, je comprends : c’est vrai que le Seigneur a envoyé son ange et m’a fait échapper aux mains d’Hérode… Il se repéra et regagna la maison de Marie… ». Chacun pourra relire in extenso la totalité de l’épisode ainsi que celui de la délivrance de Paul en mission à Philippes avec Silas où tous deux furent arrêtés et emprisonnés… puis délivrés suite à un tremblement de terre « si violent que les fondations du bâtiment en furent ébranlées, toutes les portes s’ouvrirent et les entraves de tous les prisonniers présents dans la prison sautèrent » (5).

A l’approche de la fête de Pâques de l’Année sainte 2025, le baptisé qui désire marcher dans l’Espérance à la suite du Christ, n’est-il pas appelé à remettre ses liens, les attaches qui le lient au monde de manière inextricable, la dépendance aux écrans, la culture de mort où des adolescents tuent pour rien, une société où fournir une « aide active à mourir » à un proche pourrait être légalisé, mais tirer un peu fort sur les moustaches de son chat expose à une peine prison »(6). Ces incohérences traduisent la détresse d’un monde sans repères et sans contrainte autre que « le petit moi » (7), un monde sans Dieu ! Notre Seigneur n’est-il pas venu par sa Croix, nous libérer de nos chaînes ? Nous restaurer dans notre dignité d’enfants de Dieu ? C’est ce que montre l’admirable sculpture du Christ gisant, grandeur nature, réalisée au début du XVIIIè siècle par un prisonnier du bagne de Villefranche-sur-mer (8). Cette oeuvre unique que certains comparent à une Pietà de Michel-Ange illustre parfaitement le discours du pape Jean-Paul II aux prisonniers le dimanche 5 octobre 1986 sur les ondes de Radio Fourvière : « Je dis à tous les prisonniers qui veulent librement entendre le message de la foi : regardez le crucifié qui a été condamné pour notre salut alors qu’il n’avait commis aucun mal. Regardez son amour et sa patience qui ont été transfigurés dans sa Résurrection. Remettez-lui votre épreuve qui serait trop lourde pour vous tout seuls. Offrez-la pour vous et pour d’autres. La pire des prisons serait le coeur fermé et endurci, et le pire des maux, le désespoir » (9).

Le visage empreint de paix et de sérénité du Christ gisant, sculpté dans une seule pièce de bois de figuier, ne témoigne-t-il pas à sa manière de la foi ardente et de l’Espérance qui habitaient le coeur d’un galérien resté anonyme ? A l’intercession de la Vierge Marie, notre Mère, qui nous accueille à Laghet, lieu béni depuis des siècles, demandons dans l’Espérance à sortir de nos enfermements et la grâce de trouver le chemin de la vie nouvelle offerte par un Dieu qui GUERIT, LIBERE ET SAUVE » ! (10).

« Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre ;

moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance ».

Jean 10, 10

Commentaire : Patrizia COLLETTA, « Médiation, Art & Foi ».

Notes : (1) Saints Pierre et Paul, patrons de la ville de Rome, célébrés le 29 juin ; (2) L’ex-voto de Pietro Dues in « Les ex-voto de Laghet. Un mémorial entre Ciel et terre », P. et G. Colletta, Serre Editeur, disponible à la Librairie du Sanctuaire ; (3) https://galerielympia.departement06.fr. On lira avec intérêt l’ouvrage de Jérôme Bracq et Elena Lascaris « L’ancien bagne du Port de Nice. Ombres et lumières d’un monument », 2017 ; (4) Tende n’a été rattachée à la France qu’en septembre 1947 suite au Traité de Paris et après consultation des habitants qui votèrent en masse pour le rattachement ; (5) Délivrance de Paul et Silas, Actes des Apôtres 16, 16-39 ; (6) Relire le Message de Mgr Nault aux diocésains du 17 mai 2024 in nice.catholique.fr ; (7) Lire l’homélie du 16 février 2025 sur « les bons et les mauvais choix » du Père Roger Hébert, notre Recteur sanctuaire-laghet.fr  (8). Ce sublime gisant avec sa litière ornée des instruments de la Passion, classé Monument historique au titre d’objet, est exposé dans l’Eglise Saint Michel de Villefranche-sur-Mer, Paroisse Notre-Dame de l’Espérance, Place Abbé Lorenzoni ; (9) Pèlerinage Apostolique en France, 4-7 octobre 1986, « Discours du Saint-Père aux prisonniers » in vatican.va ; (10) Prière de guérison au Sanctuaire de Laghet, 3ème samedi du mois (sauf l’été), se renseigner, s’inscrire : 04 92 41 50 50, bienvenue@sanctuaire-laghet.fr