En chemin avec Marie…
Le « MIRACLE DU CHAPELET » ou l’histoire d’un américain à Laghet.
Depuis le Haut Moyen-Age le mois de Mai est associé à la Vierge Marie. On en trouve mention au XIIIè siècle dans les Cantigas de Santa Maria élaborés par le très pieux roi Alphonse X de Castille, dit le Sage. Ces chants de louange en l’honneur de la Mère de Dieu sont merveilleusement interprétés par l’ensemble de musique médiévale dirigé par Jordi Savall (1). Au XIXème siècle le pape Pie VII encourage la dévotion déjà très populaire du « Mois de Marie » ce qui entraine, par la suite, la reconnaissance pontificale du mois de Juin considéré depuis comme le « Mois du Sacré-Coeur ».
Le mercredi 1er mai 2024, le Sanctuaire de Laghet, invite à partir à la rencontre de Marie, « la première en chemin » en proposant un temps d’enseignement par le père Roger Hébert, Recteur du Sanctuaire ; la messe présidée par Mgr Dominique David, Archevêque de Monaco et la « Neuvaine des 9 voyages de la Vierge ». Un temps de louange et d’action de grâces envers Notre-Dame de Laghet qui, depuis 1652, manifeste en ces lieux sa sollicitude maternelle (2).
L’ex-voto d’aujourd’hui illustre la grâce de la protection de Notre-Dame de Laghet à l’égard d’un visiteur américain, au profil singulier… Déjà commenté dans l’ouvrage sur le corpus de Laghet, (3) nous voudrions partager les prolongements de cette histoire après la sortie de « Pentagon Papers », film de de Steven Spielberg, qui montre l’attitude courageuse du donateur, Monsieur Arthur Sulzberger. En effet ce patron de presse permit d’épargner plusieurs milliers de vies de soldats et de civils durant la Guerre au Vietnam… En lisant cette nouvelle histoire d’ex-voto, une page de l’Histoire contemporaine inspirée sans doute par le contexte mondial, peut être verrons-nous combien Marie est sentinelle de l’humanité et chemin vers la Miséricorde Divine.
L’ex-voto, une peinture à l’huile, aux tons acidulés, signée E. Fuseri, montre une scène d’accident de la circulation, thème banal puisqu’on compte à Laghet près de 486 ex-voto dans la catégorie des accidents en tout genre. On lit sur le cartouche en haut et à gauche :
« ARTUR SULZBERGER. PARIS, LE 3 JUILLET 1955.
« MIRACLE DU CHAPELET ».
Sur la composition très réaliste on voit un piéton traversant la chaussée alors que le feu est au rouge et qu’arrive une puissante Renault Frégate noire à la calandre rutilante… L’homme trébuche et s’écroule sur le sol… près d’un grand chapelet qui vient s’interposer entre l’homme et le bolide… Piéton et conducteur s’en tireront ce jour-là avec une bonne frayeur ! Notons l’absence d’effigie mariale et, chose inhabituelle pour un tableau votif, que le piéton vêtu d’une veste et d’un jean, est représenté « de dos ».
Bon nombre d’ex-voto témoignent comme celui-ci de la prévenance de Marie lors d’un accident et cette image aurait pu rester dans l’ombre… Mais voilà qu’en 2020, nous eûmes la surprise de découvrir un document de la DRAC (4) signalant l’existence d’une inscription au stylo pointe bleu au dos du tableau donnant des détails inédits sur le contexte particulier de cet accident :
« ARTHUR SULZBERGER HABITANT NICE VILLA MONIQUE, ETAIT A PARIS LE 3 JUILLET 1955, IL TOMBA MALENCONTREUSEMENT AU MOMENT OU UNE VOITURE VENAIT A TOUTE ALLURE AU SENS UNIQUE MAIS LE CHAPELET AVEC N.D. DE LAGHET SORTI DE SA POCHE SE PLACA ENTRE LA VOITURE ET LUI MIRACULEUSEMENT ».
Une véritable enquête débutait pour nous… Le donateur de l’ex-voto, s’avérait être Arthur Ochs Sulzberger (1926-2012), israélite et petit-fils de rabbin (6), descendant d’une dynastie de magnats de la presse américaine, celle du New York Times. Après une formation universitaire, un temps dans le Corps des Marines durant la 2de Guerre Mondiale et en Corée, Arthur Sulzberger, fait ses premières armes journalistiques à la rubrique nécrologie du Milwaukee Journal. En 1955 il est envoyé en Europe, Londres et Rome et au siège parisien du New York Times en tant que correspondant.
Durant son séjour en France, il se rend à Nice où il est hébergé par les autorités françaises dans la prestigieuse « Villa Monique », quartier de Magnan.
Cet hôtel particulier de 659 m2, style Belle Epoque, propriété de l’Etat, fit les beaux jours des personnalités séjournant à Nice et sur la Riviera. On y accède par l’avenue Doyen Louis Trotabas (7).
D’après ses biographes, Arthur Sulzberger assistait aux 24 Heures du Mans le 11 juin 1955, lorsque, à mi-course, la Mercedes-Benz, en sortant de la courbe rapide appelée « Maison Blanche », passe au-dessus du talus de protection, explose en retombant sur un muret… Les éléments lourds du véhicule s’écrasent sur la foule faisant 82 morts et plus de 120 blessés. Des rangées de spectateurs sont dévastées… Sulzberger, présent dans la tribune réservée aux journalistes, assiste impuissant à la scène.
Sans doute traumatisé, il rentre à Paris sans rendre compte à sa Rédaction de « la pire catastrophe de l’histoire de la course automobile ». On lui reprochera du reste son manque de professionnalisme. Quelques jours plus tard, le 3 juillet 1955, circulant dans Paris, il tombe en traversant au feu rouge et manque de se faire percuter par une voiture… c’est là que le chapelet, acheté probablement au Sanctuaire de Laghet lors d’un séjour à Nice, s’échappe de sa poche et se place entre lui et le véhicule qui arrive à toute vitesse… Le jeune trentenaire, après ces incidents décide de rentrer à New York. Arthur Sulzberger, conscient d’avoir miraculeusement échappé au danger -et malgré l’interdit de l’image en vigueur dans le Judaïsme- n’hésite pas à faire réaliser cet ex-voto le montrant « de dos ». Discrète action de grâces envers la Vierge de Laghet !A son retour aux Etats-Unis il se voit confier divers postes d’encadrement aux contours mal définis. « Vice-président responsable de rien », dira-t-il plus tard avec ce sens de l’ironie et de l’autodérision qui fut sa marque. Ce dyslexique, surnommé « Punch » (8) ne fut jamais envisagé par la Direction du New York Times comme un successeur potentiel à son père qui lui préféra son gendre Orvil Dryfoos en 1961. Contre toute attente, après le décès brutal de Dryfoos d’un arrêt cardiaque, en 1963 le fils mal aimé et inexpérimenté devient, à 37 ans, le plus jeune Directeur de publication de l’histoire du quotidien et selon le journal Le Monde : « … patron du New York Times et champion de son indépendance » (8). A la surprise de tous, Arthur Sulzberger redresse les finances, introduit le journal en Bourse le 14 janvier 1969, investit dans la presse régionale, le magazine et la télévision. The grey lady, la vieille dame grise de Times Square, comme l’appelaient les New Yorkais, se modernise et devient en 30 ans le journal le plus lu de la côte est à la côte ouest des Etats-Unis. Mais le plus impensable advient en 1971, lorsqu’il décide de publier les fameux « Pentagon papers », 7 000 pages de documents classés « secret-défense », qui lèvent le voile sur les mensonges répétés de l’administration américaine pour précipiter l’intervention des USA au Vietnam et faire perdurer une guerre qui verra disparaître une génération de jeunes G.I. Ceux qui rentrèrent portent encore les stigmates de la « folie meurtrière des hommes »(9). Avec un courage hors normes, Arthur Sulzberger décide de publier, avouant « qu’il n’était pas possible de lire ces documents et de dormir tranquille ». Son esprit était tenaillé par cette guerre, très impopulaire pour les Américains, qui fut poursuivie sous 4 mandatures présidentielles, avec des modalités que l’Histoire n’oubliera pas…
Contre l’avis de ses avocats il signe le « bon à tirer ». Les premiers feuillets sortent les 13 et 14 juin 1971… La publication est stoppée net par la Cour Suprême… mais l’Amérique est sous le choc… Le Washington Post se joint au combat suivi par le Los Angeles Times puis par tous les responsables de presse du pays… Au nom de la liberté et du devoir d’informer de la presse les avocats de Sulzberger tiennent contre vents et marées… Chacun retient son souffle, Sulzberger peut tout perdre, son journal, sa réputation, il risque la prison, l’ancien responsable de l’armée qui avait photocopié et fourni au N.Y. Times les documents relève de la cour martiale… Le 30 juin 1971, à l’issue d’un bras de fer avec l’administration Nixon, la Cour Suprême prononce un « non-lieu » !
« Pardon mon Seigneur, mais moi je n’ai jamais été doué pour la parole, ni d’hier, ni d’avant-hier, ni même depuis que tu parles à ton serviteur ; j’ai la bouche lourde et la langue pesante, moi ! Le Seigneur lui dit : qui donc a donné une bouche à l’homme ? Qui rend muet ou sourd, voyant ou aveugle ? N’est-ce pas moi, le Seigneur ? » (Exode 4, 1-31).
En ces temps où la tension dans les relations internationales s’accroit, où des essaims de drones traversent le ciel par endroits, devant le jusqu’au-boutisme de certains dirigeants, prions de tout notre coeur, de toute notre âme, implorons Marie à genoux, que le Seigneur nous fasse Miséricorde, encore un peu de temps ! Seigneur, à l’intercession de Notre-Dame de Laghet, écoute et prends pitié des familles dans le monde, des jeunes en particulier, de la terre et de tous ses habitants. Que Marie, Notre Mère, intercède pour tous ses enfants ! Réfugions-nous auprès du Sacré-Coeur. Comme le rappelait le père Roger Hébert notre recteur dans son homélie du 24 avril dernier, « Accrochons-nous donc à la parole de Dieu » (9), appuyés sur les paroles de consolation et de réconfort de Jésus :
« Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau
et moi je vous procurerai le repos.
Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école
car je suis doux et humble de coeur
et vous trouverez le repos pour votre âme.
Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger ». Mathieu 11, 28-30
Commentaire : Patrizia COLLETTA, « Médiation, Art et Foi ».
Illustrations : 1) Arthur Ochs Sulzberger en 1982 ; (2) « Villa Monique » à Nice ; (3) Accident 24H du Mans 1955 ; (4) La une du N.Y. Times du 1/01/1971 ; (5) Entrée du New York Times, 620, 8th Avenue, immeuble de 52 étages conçu par l’architecte italien Renzo Piano, cliché Josselin Colletta, 6 avril 2024 ; (6) Une des plus célèbres images du Sacré-Coeur, église du Gesù, Rome, peint au XVIIIè par Pompeo Batoni.
Notes : (1) Replay Radio France, « Cantigas de Santa Maria par Jordi Savall » durée 17’ ; (2) Détail de cette journée exceptionnelle sur sanctuaire-laghet.fr ; (3) Ex-voto commenté in « Les Ex-Voto de Laghet. Un mémorial entre Ciel et terre », P. & G. Colletta, Serre Editeur, 2021 ; (4) Dossier Inventaire DRAC de 2003, par Claudie Gontier, catégorie « Accidents de la circulation automobile » ; (5) L’arrière-grand-père maternel Isaac Meyer Wise (1819-1900) originaire de Tchéquie, professeur d’université, rabbin du judaïsme libéral, fonda en 1875 à Cincinnati la plus ancienne école rabbinique d’Amérique ; (6) Fondateur de l’Institut d’Etudes Juridiques de Nice, devenu la Faculté de Droit et de Sciences Economiques lors de la création de l’Université de Nice en 1962 ( Michel Bottin, Miscellanea, juin 2020 ). Pour mémoire la famille du Pr Louis Trotabas père de Simon Trotabas prêtre au Diocèse de Nice, déposa un ex-voto suite à l’accident de vélo du fils cadet, Jean-Baptiste Trotabas, en 1949 ; (7) Très intéressant article de Marie Vergès suite au décès d’Arthur Sulzberger le 29/09/2012 in lemonde.fr ; (8) Cette « fine pointe de stylo à l’encre bleue » n’est pas sans rappeler la couleur de l’inscription au dos de l’ex-voto relevée par la DRAC… ; (9) Homélies écrites rogerhebert.com