« VENEZ A MA SUITE, ET JE VOUS FERAI PECHEURS D’HOMMES » (Mathieu 4,19).
par Patrizia Colletta, « Médiation, Art & Foi »

En ce lundi de l’octave de Pâques le monde a appris le retour vers la Maison du Père du pape François. Le chef de l’Eglise catholique sera resté douze années aux commandes de la barque de Pierre, avec force et courage en raison de soucis de santé récurrents. L’heure est au recueillement, à la prière vers le Dieu de Miséricorde pour le repos de l’âme du Saint Père. Que le Seigneur lui donne sa paix !

 C’est aussi le temps de l’action de grâces pour un pontificat marqué par une crise sanitaire et la nécessité pour le souverain pontife de lancer une réflexion sur la « synodalité », un geste majeur pour l’Église, toujours en voie de conversion sous la mouvance de l’Esprit. En guise d’hommage au pape François, amateur de piété populaire, nous avons choisi cet ex-voto du XIXè siècle, une fortune de mer parmi les nombreux ex-voto marins du Sanctuaire de Laghet (1). Une peinture à l’huile sous verre qui évoque la tempête déchainée qui faillit engloutir le brick « Lo Cortese », le 8 février 1827, dans le Golfe de Gênes. Ce bateau, chargé de marins, battant pavillon sarde, à la tête duquel se trouvait le capitaine Eusébi, faillit disparaître comme le montre l’image et le cartouche au bas du tableau :  

« EX V.F.G. LI 8 FEBjo 1827 BRICO LO CORTESE CAPITANO EUSEBI A.
QUESTO SUCCESSO NEL GOLFO DI GENOVA ».

La composition montre le brick enfoncé dans l’écume verte des vagues, des lames si hautes qu’elles empêchent les hommes d’équipage de rentrer les voiles. Panique à bord… dans ce moment de péril extrême et devant la puissance incontrôlée des éléments, reste la prière à Marie, Stella Maris, étoile de la mer, Mère de la grâce. La Vierge de Laghet est représentée dans un halo de lumière dans l’espace céleste au-dessus du bateau avec l’Enfant Jésus sur le bras gauche. Il s’agit ici d’une représentation de la Vierge de Laghet de « type triangulaire », avec robe rouge et manteau bleu, un style très graphique. Les marins fréquentant les golfes du Bassin de la Méditerranée connaissent bien ces tempêtes terribles dont les récits de naufrages hantent les ports… Rentré sain et sauf, le Capitaine Eusébi vint déposer au Sanctuaire de Laghet son offrande votive et témoigner de sa reconnaissance envers la Vierge Marie pour avoir eu la vie sauve ainsi que son équipage. Pour la petite histoire cet ex-voto fut montré à Cannes entre le 28 juin et le 28 juillet 1952, lors de l’Exposition sur le thème de « La Mer ». Mais chacun sait que depuis, les ex-voto ne quittent plus les cimaises de Laghet leur port d’attache !

Le choix d’un ex-voto marin en hommage au pape François pourrait surprendre. Pourtant le thème de la mer, de « l’avancée vers le large » (St Luc 5,4) illustre à la fois les origines du pape et les orientations de son pontificat. Dès son élection le 13 mars 2013, le pape François prononce ces mots au balcon de la Basilique Saint-Pierre : « Il me semble que mes frères cardinaux soient allés me chercher au bout du monde ! ». Rappel discret de sa naissance en Argentine dans une famille d’immigrés italiens. On a vu de quelle manière le pape François choisit de faire reposer sa gouvernance sur quatre piliers, proposant à chaque fois aux fidèles, de quitter leur zone de confort : PAIX, souci de la PAUVRETE, MISERICORDE, protection de la CREATION (2).

En cet instant, deux images affleurent à notre mémoire. La première date du voyage du pape François sur l’Ile de Lampedusa à la rencontre des migrants aux premiers jours de son pontificat. Avant d’accoster le pape lança sur les flots une gerbe fleurie pour ceux dont la mer était devenue le cercueil… Après un bain de foule au milieu de ceux « en attente de connaitre leur sort », debout comme on le voit sur la photo, à la barre d’un timon édifié avec les débris de bateaux échoués sur l’ile, il s’exprima à partir de la parole de Jésus : « J’étais étranger et vous ne m’avez pas accueilli… ». En aparté, durant son déplacement à Lampedusa et, plus tard à la télévision italienne, le pape François confia un souvenir d’enfance, qui n’avait jamais quitté sa mémoire. Ses grands-parents paternels et son père, Mario Giuseppe Bergoglio, décidèrent d’émigrer en Argentine. A l’automne 1927 il prirent 3 billets sur le paquebot « Principessa Mafalda », auprès de la Compagnia della Navigazione Italiana, qui devait les conduire depuis Gênes jusqu’à Buenos Aires via le détroit de Gibraltar. Suite à un contretemps administratif dans le cadre de la vente d’un terrain à Portacomaro (Asti) dans le Piémont, les Bergoglio ne purent embarquer.

Quelle ne fut pas leur stupeur lorsqu’ils apprirent que le bateau sur lequel ils auraient dû voyager avait coulé corps et biens au large des côtes du Chili… Le naufrage du « Principessa Mafalda » restera une des plus grandes catastrophes maritimes de l’histoire, avec 808 morts dont 446 italiens voyageant en 3ème Classe… Des recherches généalogiques montrent que Mario Bergoglio partit deux ans plus tard en 1929. A Buenos Aires il rencontra sa future épouse, Regina-Maria Sivori originaire de la Ligurie, ils eurent la joie d’accueillir leur premier enfant le 17 décembre 1936, un garçon prénommé Jorge Mario Bergoglio… futur prêtre, jésuite, archevêque de Buenos Aires, Cardinal-prêtre et, en mars 2013, le 266è pape à la proue de la barque de Pierre.

La seconde image remonte au 15 décembre 2024, lors de la venue du pape en Corse sur l’invitation du Cardinal Bustillo, pour l’ouverture officielle du « Colloque sur les traditions populaires en Méditerranée ». Devant une immense barque blanche nommée Stella Maris, sur l’estrade qui dominait la Place d’Austerlitz à Ajaccio, le pape François insista sur l’importance et le rôle de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de la dévotion populaire. Il évoqua la louange du petit peuple de Dieu, le chant traditionnel des confréries Corses et les différents visages de la piété populaire telle qu’elle se pratique depuis des siècles autour du Mare Nostrum.

 Ce même jour, à Ajaccio, fidèle à lui-même, le pape François revisita sa première exhortation apostolique, Evengelii Gaudium, donnée au tout début de son pontificat. Ce texte rappelle la joie de l’Evangile et la mission d’évangélisation de l’Eglise dans le monde aujourd’hui. Mission confiée à « tout le peuple des baptisés » (3) et en particulier par « la force évangélisatrice de la piété populaire » comme il le rappela : « Regardées longtemps comme moins pures, quelquefois dédaignées, ces expressions font aujourd’hui un peu partout l’objet d’une redécouverte. Les Evêques en ont approfondi la signification, au cours du récent Synode, avec un réalisme pastoral et un zèle remarquable…. La religiosité populaire, on peut le dire, a certainement ses limites. Elle est fréquemment ouverte à la pénétration de maintes déformations de la religion voire de superstitions…. Mais si elle est bien orientée, surtout par une pédagogie d’évangélisation, elle est riche de valeurs… ». Le pape François rejoignait ici l’orientation donnée, par le pape Jean Paul II dans son incontournable « Directoire sur la Piété populaire et la Liturgie » et son recentrage théologique sur le Christ (4).

Le pape François, entra très jeune dans la Compagnie de Jésus. L’histoire de l’Eglise dit combien les Jésuites furent engagés dans la Contre-Réforme au XVIè siècle : insistant sur l’importance de la dévotion mariale et la diffusion du Rosaire après la Bataille de Lépante en 1571 (5), le soin à apporter aux édifices religieux (peinture, sculpture, architecture). Le patrimoine devenant une sorte de « théologie par l’image » comme le soulignait en 2006 le pape Benoit XVI. Au décours de la Contre-Réforme se développèrent quantités de dévotions avec une dimension quasi affective comme l’offrande d’un ex-voto non plus par les classes aisées mais par le peuple chrétien, les pauvres, les simples. Les ex-voto, objets de la dévotion populaire, nés de la prédelle des tableaux du maitre-autel, fleurirent à cette époque jusqu’au XXè siècle… Cette évocation nous invite à rendre grâce pour le trésor votif de notre sanctuaire, témoignage vivant de la Piété populaire et à demander l’intercession de Notre-Dame de Laghet pour le repos de l’âme du pape François parti vers l’autre rive… 

« A l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit :
« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange :
ce que tu as caché aux yeux des sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout petits.
Oui, Père tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance.
Tout m’a été remis par mon Père.
Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père ; et personne
ne connaît qui est le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler ».
Luc, 10, 21-22

Fresque église San Pietro, Portacomaro, village d’origine des Bergoglio dans le Piémont. A gauche de la Crucifixion on note la présence de St Pierre tenant les « clés »…

Notes : (1) Ouvrages disponibles à la Librairie du Sanctuaire de Laghet ; (2) Depuis son Encyclique « Laudato si » publiée en mai 2015, le pape François fut parfois appelé le « pape vert » ; (3) Pape François « Evangelii Gaudium », La force évangélisatrice de la piété populaire, §122-126 ; (4) Pape Jean Paul II, « Directoire sur la Piété populaire et la Liturgie », Rome, 2001, disponible sur le site vatican.va ; (5) La Bataille de Lépante en 1571 durant laquelle la flotte chrétienne livra bataille à la flotte turque qui venait de conquérir Chypre. Devant le danger de l’expansionnisme ottoman le pape Pie V appela tous les chrétiens à réciter le Rosaire ce qui dans la mémoire collective eut pour effet de donner une victoire inespérée à la flotte chrétienne bien inférieure en nombre et d’armer tout baptisé avec la dévotion du chapelet marial, la Vierge Marie, notre Mère, aide invincible pour les pêcheurs les plus endurcis et terreur des démons. Voir l’article des Equipes du Rosaire du Diocèse de Nice sur sanctuaire-laghet.fr : « Le Rosaire : arme contre le démon et voie de sainteté » !