18 mai : samedi 7° semaine de Pâques
Nous arrivons au bout de la lecture du livre des Actes des Apôtres, un livre qui semble comme inachevé puisque rien ne nous est dit sur la fin de la vie de Paul. Le texte des Actes nous dit qu’il a été emprisonné deux ans, aujourd’hui, on ne parlerait plus d’emprisonnement mais d’assignation à résidence puisque le texte nous dit qu’il pouvait accueillir tous ceux qui venaient à lui. Mais que s’est-il passé après ces deux ans d’assignation à résidence ? Les spécialistes émettent des hypothèses, ce qui est clair, c’est ce que la tradition a toujours rapporté concernant la mort de Paul, c’est-à-dire qu’il a donné sa vie dans le martyr, même si les circonstances sont un peu floues.
J’aimerais maintenant m’arrêter sur ces versets qui ont retenu mon attention : Paul demeura deux années entières dans le logement qu’il avait loué ; il accueillait tous ceux qui venaient chez lui ; il annonçait le règne de Dieu et il enseignait ce qui concerne le Seigneur Jésus Christ avec une entière assurance et sans obstacle. Quelle belle pointure ce Paul ! Parce qu’il faut essayer de réaliser ce qu’a dû représenter son assignation à résidence. Il était un missionnaire infatigable, des études ont été faites et on estime qu’il a parcouru plus de 16.000 kilomètres au cours de ses 3 voyages missionnaires, ce n’est quand même pas rien ! Et le voilà enfermé entre 4 murs, il aurait pu déprimer, passer ses journées à regretter le temps où il pouvait circuler librement et aller là où le poussait l’Esprit-Saint. Il aurait pu passer son temps à échafauder des projets qu’il pourrait réaliser quand il retrouverait la liberté … s’il la retrouvait un jour ! Mais il aurait ainsi perdu tout son temps !
Reconnaissons que c’est souvent ainsi que nous fonctionnons ! Quand les choses ne se passent pas comme nous l’avions prévu, nous passons beaucoup de temps à râler, au moins intérieurement. Et comme rien ne va plus, nous nous complaisons à évoquer le bon vieux temps, le temps d’avant l’épreuve que nous sommes en train de traverser ou alors, nous nous évadons dans un avenir hypothétique, rêvant du moment où nous aurons enfin traversé l’épreuve. Seulement, le problème, c’est qu’en entretenant la nostalgie du passé ou en fuyant dans l’avenir, nous oublions ainsi de vivre dans le présent. Or Dieu est dans le présent, le passé est passé, l’avenir n’est pas encore là, c’est le présent qui intéresse Dieu, il se donne à rencontrer dans le présent. Mieux encore, il veut nous aider à accueillir le présent comme un présent, c’est-à-dire comme un cadeau, ce que Paul va faire.
Paul n’a pas passé les deux années de sa détention à se lamenter en se rappelant le bon vieux temps où il sillonnait le monde pour annoncer l’Evangile. Il n’a pas passé ces deux années de détention à imaginer de nouvelles stratégies missionnaires pour le moment où il retrouverait la liberté. Il a passé ces deux années de détention en vivant dans le présent, en faisant ce qu’il savait le mieux faire, ce qu’il aimait faire par-dessus tout, c’est-à-dire évangéliser. Il ne pouvait plus sortir, qu’à cela ne tienne, ce sont les autres qui viendraient à lui !
Il avait sans doute des compagnons à Rome qui lui envoyaient les personnes qu’eux-mêmes rencontraient et qui se posaient des questions, qui vivaient des vies difficiles. Paul, puisqu’il ne pouvait plus bouger était disponible 24h/24 et c’est ainsi qu’il accueillait le présent comme un présent même s’il aurait bien souhaité que ce présent puisse être différent. Le philosophe Martin Steffens a écrit un très beau livre « la vie en bleu » pour dire que la vie n’est pas rose tous les jours ! « La vie en bleu » parce qu’en permanence, on se fait des bleus en se cognant à la réalité. Il dit : En règle générale si on attend que les conditions soient réunies pour entreprendre quoi que ce soit, on ne fera jamais rien. C’est même l’inverse qui a lieu : parce que je décide de faire quelque chose, je réunis les conditions de sa possibilité. (la vie en bleu p. 33).
Finalement tout cela peut se résumer par ce verbe que je considère de plus en plus important pour qualifier l’attitude spirituelle juste : CONSENTIR. Et finalement, nous avons toutes et tous besoin d’être guéris de ce qui nous empêche de CONSENTIR à la vie, à la réalité de nos vies. Nous avons tous besoin d’être guéris de ce qui nous entraine à nous complaire dans la nostalgie. Nous avons tous besoin d’être guéris de ce qui nous fait toujours vivre dans le rêve. Nous avons besoin d’être guéris de ce qui nous empêche d’accueillir le présent. Parce que, même dans un présent compliqué et je dirai surtout dans un présent compliqué, le Seigneur nous accompagne.
Pour aider à comprendre ce que « consentir » veut dire, j’aime donner l’exemple du cardinal Van Thuan qui est mort maintenant. Il était un jeune évêque courageux du Vietnam, il sera très vite nommé archevêque coadjuteur de Saïgon, par le pape Paul VI. Mais avant d’avoir pu s’installer, il est arrêté par la police communiste et emprisonné pendant 13 ans. Il subira des traitements terribles particulièrement en raison de la solitude, de l’isolement qui lui est imposé au début de sa détention. Dans les premiers temps, on le comprend bien, il va se révolter, accusant Dieu de bien mal gérer ses affaires : pourquoi l’avoir fait nommer évêque de la capitale si c’est pour qu’il soit arrêté juste après sans avoir eu le temps d’exercer son ministère ? Mais plus, il se révolte et plus il broie du noir !
Et c’est toujours ce qui se passe quand on rêve de la vie en rose alors que c’est la vie en bleu qui se présente à nous, la vie qui nous fait des bleus. Il plongera dans une profonde dépression spirituelle jusqu’au moment où, désespéré, il pensera à sa maman. Quand on va mal, on pense souvent à sa maman même quand elle est morte depuis longtemps ! Il va se rappeler d’une parole de sa maman qui avait lu « « Histoire d’une âme » de Thérèse de Lisieux et qui avait résumé ce livre à ses enfants en disant : Ste Thérèse a choisi de remplir chaque instant de sa vie du maximum d’amour.
La vie de Thérèse n’a pas été une vie en rose ! A cause de cette terrible maladie, contractée si jeune, sa vie a été une vie en bleu. Mais Thérèse a cru que, même dans cette vie en bleu rien, ni personne ne pouvait l’empêcher d’aimer. Et, comme elle était persuadée que le secret d’une vie réussie, c’était une vie vécue dans l’amour, elle a décidé de mettre un maximum d’amour dans chaque instant de sa vie, de sa vie telle qu’elle était, de sa vie en bleu. A partir du moment où Mgr Van Thuan a appliqué le secret de Thérèse tout a changé dans sa vie. Oh, sa vie n’est pas devenue une vie en rose, elle est restée une vie en bleu, il est resté prisonnier, un prisonnier extrêmement maltraité, mais tout a changé quand même parce que lui, il avait totalement changé puisqu’il décidait de vivre chaque instant de sa vie avec un maximum d’amour.
Et alors, il a réussi ce coup de force de conduire à la rencontre avec le Seigneur tous ses gardiens et même le chef de la police qui, à cause de l’alcool, se comportait comme une brute ! Quelle vie réussie même si, en apparence, on voyait bien plus de bleu que de rose dans sa vie ! C’est tout cela qu’il y a derrière le verbe consentir.
Je veux terminer en soulignant que ce verbe CONSENTIR, il appartient au registre amoureux. Lors de la célébration de leur mariage, les fiancés échangent leurs consentements. Consentir, c’est donc dire un oui d’amour à la vie, telle qu’elle est, non pas en se résignant mais en décidant de remplir chaque instant de notre vie, telle qu’elle est, du maximum d’amour. Puisque consentir, c’est le langage de l’amour, seul le Saint-Esprit pourra donc nous donner la force de dire ce oui d’amour à la vie même et surtout quand elle est en bleu !
Que Notre Dame de Laghet nous donne de désirer l’Esprit-Saint pour qu’à la suite de Paul nous parvenions à consentir à la réalité de nos vies, pour qu’à la suite de Thérèse et du Cardinal Van Thuan nous parvenions à remplir chaque instant de nos vies du maximum d’amour.