26 octobre : 30° dimanche ordinaire : les larmes des pauvres, les larmes de Dieu.
Je ne sais pas si, avant de venir à la messe le dimanche, vous vous préparez à cette rencontre avec le Seigneur en lisant les textes. Si vous le faites, bravo, continuez, si vous ne le faites pas, vous pourriez essayer de vous y mettre. D’ailleurs, certains dimanches, ça pourrait vous faire attendre l’homélie avec impatience ! En effet quand les textes sont difficiles, et ça peut arriver, on peut être heureux d’avoir un commentaire qui les rende un peu plus accessibles. Un peu comme cet homme, dont nous parle le chapitre 8 des Actes des Apôtres, que le diacre Etienne va rejoindre sur la route qui conduit à Gaza et qui était en train de lire un passage du livre d’Isaïe confortablement installé sur son char. Arrivant à sa hauteur, Philippe lui demande : comprends-tu ce que tu lis ?Et l’homme de répondre : comment comprendrai-je si personne ne m’explique ! Toutefois pour mieux goûter l’explication qui nous est donnée dans l’homélie, il convient d’avoir un peu réfléchi par soi-même sur les textes et c’est pour cela qu’il est bon de les lire avant de venir à la messe.
Maintenant, quand on lit les textes à l’avance, on peut avoir parfois des surprises … enfin, ça, c’est réservé à ceux qui sont un peu curieux ! Par exemple, aujourd’hui, ceux qui ont lu la première lecture tirée de Ben Sira le Sage ont peut-être mené une petite enquête : pourquoi nous a-t-on enlevé deux versets ? Quand vous lisez les références du texte, vous voyez qu’on vous fait lire, dans le chapitre 35 de ce livre, les versets 15 à 17 puis 20 à 22. Et les versets 18 et 19 pourquoi ne nous les fait-on pas lire ? Voudrait-on nous cacher quelque chose ? Les tempéraments rebelles, sans doute plus que les autres, chercheront à savoir ce que contenaient d’explosif ou de si peu présentables ces versets pour qu’on ne nous les fasse pas lire. Et alors, si vous menez l’enquête, vous allez être complètement déstabilisés parce que ces versets sautés font sans doute partie des plus beaux versets de tout le Premier Testament : Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur les joues de Dieu, et son cri n’accuse-t-il pas celui qui la fait pleurer ?
Dans ce très beau texte où Ben Sira essaye de nous montrer à quel point Dieu se soucie des pauvres, il y a donc cette pépite : Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur les joues de Dieu ? Vous comprenez bien que, pour que les larmes de quelqu’un coulent sur vos propres joues, il faut que vous vous soyez faits proches de cette personne qui pleure, tellement proches, visage contre visage, que ses larmes, à elle, coulent sur votre propre visage. C’est extraordinaire de constater que, presque deux siècles avant la venue de Jésus, un sage d’Israël était déjà capable de parler de Dieu en de tels termes, d’envisager une telle proximité de Dieu avec les pauvres. Seulement voilà, les spécialistes qui ont rédigé le lectionnaire de la messe ont passé le texte au bistouri en enlevant ces versets si extraordinaires ! Pourquoi ? Je n’en sais rien, mais je vous promets que lorsque je serai Pape (humour !!!), il y aura une réforme qui permettra à tout le monde d’entendre que les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu.
Pourquoi j’insiste tant sur ce raté ? Tout simplement parce que le verset sauté donne une explication lumineuse à l’Evangile. Je vous l’accorde, dans la suite de la lecture, il y avait aussi un très beau verset, qui éclaire aussi l’Evangile, c’est celui qui disait : La prière du pauvre traverse les nuées. Oui, c’est très beau mais le verset sauté dit encore bien mieux la proximité de Dieu avec les pauvres : les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu. Quand on a entendu cela, alors la parabole de Jésus devient lumineuse.
Dieu ne rejette pas le pharisien ; d’ailleurs, Dieu ne rejette personne. Et puis, ça serait terrible de savoir que Dieu rejette le pharisien parce que c’est un homme qui fait du bien, contrairement au publicain qui était sans doute une vraie crapule. On peut légitimement penser que tout ce que dit le pharisien est vrai. Alors où est le problème ? Le problème, c’est qu’en étalant tous ses mérites qui, encore une fois, existent vraiment, le pharisien oublie de dire qu’il n’est pas qu’un homme bien. Il peut faire du bien, mais, même ceux qui font beaucoup de bien, restent pécheurs. Les plus grands saints allaient se confesser parce qu’ils reconnaissaient que leur amour vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis des autres n’était pas suffisant et lui, ce pharisien, il n’aurait qu’un bilan positif ? Non ! Ce n’est pas possible ! Il a mis sous le tapis toute la poussière de sa vie, mais elle existe réellement.
Les hommes, du moins ceux qui sont trop crédules, pourraient se faire avoir et croire à ce qu’il dit, mais devant Dieu, on ne peut pas jouer à ce que l’on n’est pas car, lui, il sait, il connait tout de nous. Le publicain, lui, quand il est devant Dieu, il ne fanfaronne pas, il ne cherche pas à trouver quelques bonnes actions qui pourraient faire oublier les mauvaises, car il y en avait sûrement. Non, il reconnait qu’il est pécheur que le bilan ne lui est pas favorable et c’est pourquoi il n’ose même pas lever les yeux. Il se contente de se frapper la poitrine en reconnaissant qu’il est pécheur.
Eh bien, voyez-vous, ce publicain il me plait de l’imaginer relevant la tête, au terme de sa prière, tout étonné de sentir des larmes couler sur son visage, d’autant plus étonné que lui, ne pleure pas ! Ces larmes qu’il a dû sentir couler sur sa joue étaient les larmes de Dieu dont le cœur a été profondément touché par cette prière en vérité. De même que les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu, de même, les larmes de Dieu coulent sur les joues des pauvres. Dieu est comme ça, son cœur est tellement sensible que lorsqu’une personne se présente en vérité devant lui, il en est profondément ému. C’est le sens du mot miséricorde qui suggère que Dieu, comme une mère, a des entrailles qui frémissent, et voilà donc ce que provoquent nos prières dans le cœur de Dieu quand elles sont des prières faites en vérité. Elles le remuent jusqu’aux larmes et c’est ainsi que les pauvres ont ce privilège immense de sentir les larmes de Dieu couler sur leurs propres joues. Et c’est ainsi qu’ils peuvent comprendre que Dieu vit une proximité inouïe avec eux.
Vous comprenez mieux maintenant pourquoi le texte d’Evangile se terminait par ces mots : Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. Oui, chercher à s’élever, à paraitre ce que nous ne sommes pas, à mettre la poussière sur le tapis, c’est le pire drame qui puisse nous arriver. En effet, Dieu, lui, dans le même temps, il a choisi de s’abaisser, d’aller toujours plus bas pour rejoindre les pauvres, ceux qui osent se reconnaître vraiment pauvres. Si je cherche à m’élever quand Dieu s’abaisse, c’est bien évident, il ne pourra jamais y avoir de rendez-vous, on ne fera que se croiser. Mais si je consens à me reconnaître pauvre, alors je pourrai faire cette expérience extraordinaire de sentir les larmes de Dieu couler sur mes joues, expérience qui me dira sa proximité. Et c’est bien cette expérience de proximité que nous cherchons à vivre dans la prière, oui, enfin à condition de ne pas prier à la manière du pharisien de la parabole !
Par l’intercession de Notre Dame de Laghet demandons cette grâce d’oser ne rien cacher de notre pauvreté pour sentir les larmes de Dieu couler sur notre joue.



