3 décembre : 1° dimanche de l’Avent, année B

Par Père Roger Hébert

 

Je ne sais pas quel est votre désir le plus profond, quel est le vœu que vous formuleriez si vous trouviez une lampe d’Aladin pour le bon génie ! En tout cas,  dans la 1° lecture, nous avons entendu le vœu qui, au cours des siècles, est devenu le plus essentiel pour le peuple des hébreux : Ah, Seigneur ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais parmi nous ! Et ce n’était pas un vœu « religieusement correct » ! Non, c’était vraiment devenu le désir le plus important. On peut dire que c’est une double prise de conscience qui les a amenés à formuler ce vœu.

  • 1° prise de conscience : le mal est devenu trop prégnant, seul Dieu pourra en être vainqueur, alors qu’il vienne au milieu de nous et nous enseigne comment vivre en frères. Oui, Seigneur, déchire les cieux, et descends parmi nous !
  • 2° prise de conscience : notre soif de bonheur, d’amour est tellement grande qu’aucune expérience humaine, même les meilleures ne peuvent y répondre parfaitement, alors puisque, toi seul, Seigneur, pourra nous combler, viens au milieu de nous pour que nous ne nous égarions plus en cherchant à boire à toutes ces sources trompeuses qui ne désaltèrent pas. Alors, Seigneur, déchire les cieux, et descends parmi nous !

Je pense que nous sommes tous concernés aujourd’hui encore, et peut-être même aujourd’hui surtout par cette double prise de conscience. Du coup, nous comprenons pourquoi cette lecture nous est proposée au tout début de ce temps de l’Avent, ce temps qui nous prépare à Noël. En effet, Noël, c’est justement Dieu qui répond au désir le plus profond exprimé pendant des siècles par son peuple : il a déchiré les cieux et il est venu.

Mais ce qui est étonnant dans la lecture d’Isaïe, c’est que Dieu semble avoir répondu bien avant Noël au désir de son peuple. N’est-ce pas ce que laissaient entendre ces paroles qui suivaient immédiatement l’expression du grand désir : Voici que tu es descendu, les montagnes furent ébranlées devant ta face. Avec la description qui est faite, nous n’avons pas de peine à imaginer qu’Isaïe fait allusion à l’expérience de l’Alliance sur le Sinaï. Le peuple, resté en bas, avait vu la montagne comme s’enflammer, manifestement, Dieu était descendu. Mais cette venue n’a pas suffi puisque le peuple continuait à dire : Seigneur, déchire les cieux, et descends parmi nous ! Cette venue du Seigneur sur le Sinaï que je pourrais qualifier de « furtive » n’a pas été suffisante, peu à peu l’espérance prend forme et grandit d’une visitation de Dieu qui puisse durer. Le peuple des hébreux ne sait encore pas comment ça pourrait être possible, mais il rêve d’un Dieu qui vienne demeurer au milieu de lui, épouser son histoire.

Je dis qu’ils ne savent pas comment ça pourrait être possible car les juifs ont un tel sens de la transcendance de Dieu, c’est-à-dire de sa grandeur qu’ils ont bien peur que ce rêve soit un rêve impossible. Dieu est tellement grand, tellement différent des hommes que cela semble parfaitement improbable qu’il choisisse de descendre si bas pour demeurer au milieu de son peuple. Oui, ça parait peut-être inconcevable, mais Dieu, lui-même, par la bouche des prophètes va entretenir cette espérance montrant qu’elle rejoint parfaitement son projet : le Très-Haut rêve de devenir le Très-Bas, il veut être Dieu- avec-les-hommes, ce qui, en hébreu, se traduit par le nom « Emmanuel. » Retenons donc de cette lecture que le grand désir des hommes c’est que Dieu puisse déchirer les cieux et venir vivre au milieu d’eux. Certes Dieu est déjà venu, particulièrement dans l’expérience de l’Alliance au Sinaï, mais cette venue n’a pas totalement épuisé l’immense désir qui habitait le cœur des hommes, du coup, ils continuent à crier avec de plus en plus d’ardeur : Ah, Seigneur ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais parmi nous !

Eh bien, voyez-vous, ce que je viens de dire de cette venue qui n’a pas épuisé le désir des hommes donne parfaitement le sens de l’Avent. Parce que Dieu a fini par répondre au cri de son peuple. Dans la nuit de Bethléem, il a déchiré les cieux et il est venu. Le Très-Haut s’est fait le Très-Bas, le Très-Haut s’est fait l’Emmanuel et de quelle manière puisque, en Jésus, pendant 30 ans, dans l’anonymat le plus complet, il va partager la vie des hommes à Nazareth.

Il est venu, et sa venue n’a pas été comme un long voyage touristique de 33 ans avant de regagner le ciel ! Non, en venant, il a accompli la mission la plus essentielle : donner sa vie pour apporter le Salut au monde. Pourtant cette venue n’a encore pas épuisé le désir des hommes qui ne cessent de crier : Viens, Seigneur ! Et le Seigneur ne répond pas, agacé, aux hommes : je suis venu et avec ce que vous m’avez fait subir, vous pouvez toujours courir, je ne suis pas près de revenir ! La preuve, dans l’Evangile, Jésus parle très souvent de sa venue, alors qu’il est là, étonnant, non ?

Oui, il est venu et les hommes de la 1° moitié du 1° siècle ont vraiment pu bénéficier de sa présence au milieu d’eux. Certes, à part quelques-uns, ces hommes ont très mal profité de sa présence et c’est aussi pour cela que Jésus promet de venir encore et toujours. Mais il le promet également parce qu’il sait que, sans lui, nous sommes perdus. C’est pour cela qu’au moment de partir vers son Père, il fait cette promesse étonnante : et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. Mt 28,20. Avec cette promesse, Jésus nous assure que sa venue en terre de Judée n’a pas épuisé le désir de Dieu de rester présent parmi les hommes et il comprend que nous, nous lui disions encore et sans cesse : viens ! … même s’il est déjà venu. Cette promesse, c’est dans l’Eucharistie tout particulièrement, qu’il l’accomplit. Dans chaque Eucharistie, Jésus vient et il établit sa demeure dans notre cœur. Avons-nous vraiment conscience que, grâce à l’Eucharistie, nous sommes autant privilégiés que les apôtres qui passaient de grands moments d’intimité avec Jésus ?

Pourtant, cette venue n’épuise encore pas notre désir ! La preuve, à la messe, dès qu’il a réalisé sa présence par la consécration du pain et du vin et qu’il est donc réellement présent au milieu de nous, avant d’être réellement présent en nous, nous chantons que nous attendons encore sa venue. Il est venu à Noël, il vient encore dans l’Eucharistie, il se donne aussi à rencontrer dans le sacrement du frère comme nous l’entendions dimanche dernier et il reviendra dans la gloire. C’est notre foi, parce que Dieu est amour, parce qu’il est un aimant, il est aussi, si je peux me permettre cette expression, un « venant », celui que ne cesse de venir répondre à l’immense désir de notre cœur.

Tout cela est très beau, du moins j’espère que vous comprenez que c’est très beau, c’est même merveilleux d’avoir un Dieu qui est le « venant ». Maintenant, il reste une petite question, si le Seigneur nous aime à ce point pourquoi nous met-il en garde en nous prévenant qu’il va faire exprès de venir quand nous ne nous y attendrons pas ? C’est un peu comme ça qu’après une lecture rapide, on pourrait résumer l’Evangile de ce jour. Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis !

Soyons clairs, le Seigneur n’agit pas comme le faisaient les surveillants quand on était à l’internat qui attendaient toujours qu’un chahut commence au dortoir pour venir nous punir ! Le Seigneur ne nous surveille pas, il veille sur nous. Ce que je dis là, ce ne sont pas de belles paroles qui sonnent bien ! La preuve, dans cet Evangile, il dit qu’il pourrait venir au chant du coq. Cette expression, elle évoque le moment de la trahison de Pierre. Autrement dit, Jésus nous fait cette promesse extraordinaire : dans les pires moments de ta vie, dans les pires moments de trahison, je te promets de venir à ta rencontre pour que tu ne t’enfermes pas dans le désespoir de ne pas valoir grand-chose. Quelle promesse ! C’est donc bien vrai, le Seigneur ne surveille pas, il veille sur.

Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons cette grâce de vivre à fond ce temps de l’Avent pour raviver en nous l’immense désir de sa venue, au quotidien dans nos vies et particulièrement dans les moments plus difficiles, mais aussi de sa venue définitive quand il viendra essuyer toute larme de nos yeux fatigués de souffrir et de faire souffrir.