« Talitha koum ! », « Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! ». Marc, 5, 22-43

A l’orée de la fête de Pâques 2024, et pour fêter joyeusement les dix ans de cette rubrique, nous proposons de lire un ex-voto de Laghet dit de « la chambre de malade », à l’aune des cinq miracles de Jésus Christ, anticipant sa propre Résurrection (1). Une méditation autour de l’histoire d’une jeune fille, en péril de vie, relevée après avoir reçu le sacrement des malades (2). Une manière de rejoindre les demandes adressées à Notre-Dame de Laghet à travers les siècles et de solliciter, avec confiance, son intercession maternelle pour les grâces nécessaires à notre état de vie, pour nous-mêmes, ceux qui sont proches, ceux qui sont loin… et pour le monde entier. Mais, souvenons-nous que le patrimoine votif de Laghet nous invite d’abord à l’Espérance, à laisser monter en toute circonstance nos louanges vers Celui qui fait route avec l’homme comme il l’a promis : « Et moi, je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mat. 28,18-20).

Nous sommes le premier dimanche de Carême de l’an 1835…

Lors de sa visite au Musée des Ex-Voto de Laghet (3) le visiteur remarquera peut-être, parmi les fixés sous verre, cette scène attendrissante datée de 1835. Une toute jeune fille est allongée sous une alcôve aux rideaux en dentelle dont les pampilles fleurissent au-dessus de sa tête protégée par une coiffe légère. Au pied du lit un prêtre en surplis de dentelle tombant sur la soutane noire, palme à la main, effectue le geste solennel de la bénédiction des malades… La date du 8 mars qui figure au bas de l’image nous donne une idée de la foi qui anime les participants de cette scène. En effet, nous sommes le premier dimanche de Carême de l’an 1835, quelques jours plus tôt l’Eglise est entrée dans le temps éminemment pénitentiel qui précède la solennité de Pâques fêtée cette année-là le 19 avril… La palette choisie par le peintre aux tons jaune paille et bleu-gris, évoque le recueillement, le silence… On remarque le blanc laiteux des rideaux rehaussé par la note rouge cinabre de la courtepointe damassée du lit, couleur vive qui s’étend au mobilier.

L’enfant, sortant de sa torpeur, a regardé et souri à ceux qui l’entouraient dans la foi…

Voyons en détail la scénographie et les personnages. Tout d’abord, la jeune malade, Catarina Maglia, qui d’après nos recherches avait une quinzaine d’années en 1835 puisque née vers 1820. Alitée depuis quelques temps, sa mère est auprès d’elle ainsi qu’une grand-mère, assise sur une chaise près du lit. Vu l’état de la jeune malade la famille a fait appel au prêtre qui, ce dimanche 8 mars, est venu donner le sacrement de l’onction des malades avec l’huile sainte. L’heure est grave confirmée par la présence d’un homme de Dieu au chevet de l’enfant. Ce jour-là après l’onction, la prière et la bénédiction la petite semble s’animer… la maman lui apporte alors une boisson… On remarque à cet instant un léger sourire sur le visage des adultes qui entourent la jeune fille… La clé de lecture de cette scène nous est donnée par la réaction de surprise et les larmes d’émotion qui envahissent la grand-mère assise à droite sur la composition. On comprend que c’est après avoir reçu et entendu la formule qui accompagne l’onction des malades que l’enfant, sortant de sa torpeur, a regardé et souri à ceux qui l’entouraient dans la foi… Il est peut- être utile de rappeler ici les paroles du rituel : « Par cette onction sainte, que le Seigneur, en sa grande bonté, vous réconforte par la grâce de l’Esprit Saint. Amen. Ainsi, vous ayant libéré de tous péchés, qu’il vous sauve et vous relève. Amen » (4).

D’un geste discret de la main la Vierge Marie,…, désigne l’Enfant Jésus, le Dieu de Miséricorde

C’est en surplomb de la scène que le peintre a représenté l’intercesseur de ce miracle. Dans une splendide tenue d’apparat rouge, blanc et or voici Notre-Dame de Laghet, en majesté. Elle semble regarder avec une infinie tendresse le retour à la vie de la jeune fille. D’un geste discret de la main la Vierge Marie, tant invoquée et priée pour la guérison de  Catarina Maglia, désigne l’Enfant Jésus, le Dieu de Miséricorde, comme source véritable de la grâce de ce 8 mars 1835…

Le tableau qui surmonte le guéridon sur lequel est posée la burette d’huile sainte montre la piété mariale de la famille Maglia qui a offert cette action de grâces au sanctuaire de Laghet. Cet ex-voto du XIXème siècle constitue un des fleurons de la collection de fixés sous verre, une des plus importantes d’Europe. Avec la grâce reçue par Catarina Maglia, future épouse et heureuse maman de trois garçons, comment ne pas songer aux miracles de Jésus lors de sa prédication et, en particulier, la résurrection de Lazare, celle du fils de la veuve de Naïm et surtout celle de la fille de Jaïre ? Ecoutons l’Evangile de Marc (5) :

« Comme il parlait encore, des gens arrivent de la maison de Jaïre, le chef de synagogue, pour dire à celui-ci : « Ta fille vient de mourir. A quoi bon déranger le Maître ? ». Jésus surprenant ces mots, dit au chef de synagogue : « Ne crains pas, crois seulement ». Il ne laissa personne l’accompagner, sauf Pierre, Jacques et Jean, le frère de Jacques. Ils arrivent à la maison du chef de synagogue. Jésus voit l’agitation, et des gens qui pleurent et poussent de grands cris. Il entre et leur dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort ». Mais on se moquait de lui. Alors il met tout le monde dehors, prend avec lui le père et la mère de l’enfant, et ceux qui étaient avec lui ; puis il pénètre là où reposait l’enfant. Il saisit la main de l’enfant, et lui dit : « Talitha koum ! » ce qui signifie « Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! ». Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher – elle avait en effet 12 ans. Ils furent frappés d’une grande stupeur. Et Jésus leur ordonna fermement de ne le faire savoir à personne ; puis il leur dit de la faire manger ».  

Entendrons-nous l’appel de la Bonne Nouvelle du salut ?

Un grand mystère réside dans les miracles de Jésus et à son exemple par ses disciples après le jour de la Pentecôte. Par définition, le mystère nous échappe, le miracle est posé là, non comme une récompense, mais comme un signe de la tendresse du Père… Alors, durant ce temps pascal, avec les ex-voto évoquant l’extrême onction ou l’onction des malades, comme on dit pudiquement de nos jours, acceptons de nous avancer au seuil du mystère, de faire quelques pas en compagnie de Notre-Dame de Laghet. Puis, contemplant cette présence de témoignages de malades à travers les siècles, rendons grâces à Marie, notre Mère à qui nous avons été confiés depuis la Croix : « Femme voici ton fils, Fils voici ta mère ». Et à cette heure le disciple la prit chez lui… ».

L’Eglise est née à la Croix d’où le Christ continue son offrande d’immolation pour nos péchés et enfante chacun de nous à la vie nouvelle. En préparant cette Pâque 2024, et dans les temps qui sont les nôtres, venons déposer au pied de l’autel du saint sacrifice nos fardeaux personnels, les ténèbres qui obscurcissent la terre en proie à une violence inédite, l’esprit de ses habitants et de ses dirigeants… Dans le silence interrogeons-nous. Où est l’homme providentiel aujourd’hui ? Qui pour nous sauver ? Entendrons-nous l’appel de la Bonne Nouvelle du salut ? A l’instar de la fille de Jaïre, ou de la jeune Catarina Maglia, notre âme percevra-t-elle la voix de Celui qui, pour celui qui l’accueille, devient pour toujours, « Chemin, Vérité et Vie » ? (6)

« Seigneur à qui irions-nous ?

Tu as les paroles de la vie éternelle ! ».  Jean 6, 68

Commentaire : Patrizia COLLETTA, « Médiation, Art & Foi »

Notes : (1) Sur les 321 « Ex-voto de la Chambre de malade », une vingtaine montrent une personne recevant le sacrement des malades ou le viatique. Le terme « Ex-Voto de la Chambre de malade » a été créé par Marie-Thérèse Pulvénis de Séligny, Conservateur de musée, lors de ses recherches sur le corpus de Laghet et sa Thèse de Doctorat, 1984 ; (2) Voir sur le site du Sanctuaire : Temps de prière de guérison mensuel, « Dieu guérit, libère et sauve ! » ; (3) Officiellement « Salle Don Jacques Fighiera » ; (4) Sacrement appelé « extrême onction » avant Vatican II ; (5) AELF, Marc 5, 22-43, épisode dans lequel Jésus s’adresse en araméen, à la petite fille. Talitha koum ou koumi, selon les versions, exprime une « douce affection ». Voir aussi Mathieu 9, 18-26 et Luc 8, 40-56 ; (6) Jean 14,6. On peut relire le chapitre 14 en entier et entendre que le Seigneur est venu non « pour les justes mais pour les pécheurs ».